mercredi 20 août 2025

Juliette Dodu : une vraie-fausse héroïne ?

 

Me promenant dans le X° Arrondissement de Paris, mon attention a été attirée par une petite rue qui jouxte l'Hôpital Saint-Louis : la rue Juliette Dodu.

Qui a bien pu être Juliette Dodu, pour mériter qu'on lui attribue une rue?

Après une rapide enquête, je tombe nez à nez avec une jolie jeune femme bardée de médailles...

Juliette Dodu

... alors, de qui et de quoi s'agit-il ?

A première vue, Juliette Dodu est une héroïne de la Guerre de 1870, une résistante française née à Saint-Denis de la Réunion en 1848, célèbre pour avoir intercepté des messages télégraphiques prussiens, sauvant ainsi près de 40 000 soldats.

 Et à ce titre, après la guerre, elle a été la première femme à recevoir la Légion d'Honneur et la Médaille Militaire, distinction extrêmement rare pour une femme civile.

Son acte de résistance lui a valu d'être condamnée à mort par les Prussiens, mais l'armistice signé avant son exécution lui a permis d'être graciée par le Prince Fréderic-Charles de Prusse et libérée. 

Frédéric-Charles de Prusse
 

Juliette Dodu a par la suite progressé dans sa carrière pour devenir inspectrice des écoles et elle mena une existence assez discrète à Paris.

Statue à son effigie, à Bièvres, square Juliette Dodu
 

Son courage et son dévouement ont été unanimement salués et elle reste une figure emblématique de la résistance féminine. 

Mais certaines sources remettent en question la véracité de ses exploits, évoquant des incohérences dans les rapports historiques et suggérant que son récit aurait pu être enjolivé, ou ...monté de toutes pièces pour répondre aux besoins de l'époque. 


 

Voilà un exemple typique de la manière dont une société en quête de figures héroïques fabrique, amplifie ou réinvente des récits.

En effet, pendant la Guerre de 1870, aucun document officiel, français ou prussien, ne mentionne Juliette Dodu et par ailleurs, les invraisemblances techniques de cette histoire sont nombreuses.

Il n'existe pas non plus de dossier militaire complet justifiant l'attribution de ces décorations...

(1848-1909)

 

Son histoire n'apparait dans la presse qu'après l'armistice, lorsque la France, humiliée par la défaite cherche à se consoler en inventant des figures patriotiques.

Le récit publié par un journaliste de la III° République naissante (peut-être avec la complicité de Juliette Dodu elle-même) a toutes les caractéristique du roman national : jeune fille courageuse, ennemis dupés, condamnation dramatique, grâce in extremis,... 



En fait, la presse de la fin du XIX° siècle a beaucoup contribué à faire d'elle une héroïne nationale dans un contexte de défaite, un symbole de courage féminin, comparable à Jeanne d'Arc. 

Juliette Dodu est ainsi une figure à la fois réelle et légendaire de l'histoire française, dont la vie se situe à la frontière entre faits avérés et récit héroïque.

En résumé, Juliette Dodu a bien existé, a bien été honorée, mais son exploit tel qu'on le raconte semble hautement improbable, voire apocryphe.

Elle appartient à cette galerie de personnages "fabriqués"dont la France, meurtrie par 1870, avait besoin pour restaurer sa dignité. 

 Toutefois, même si les détails exacts sont discutés, Juliette Dodu reste un symbole puissant du patriotisme et de la résistance féminine. 

Pour la petite histoire, Juliette Dodu était la belle-sœur d'Odilon Redon, qui a fait d'elle un portrait de profil où elle affiche un regard fier, un peu perdu dans le vague. L'artiste a peu être saisi, sans le vouloir, l’ambiguïté du personnage. 

Juliette Dodu par Odilon Redon

 

 

samedi 16 août 2025

L'Hôpital Saint-Louis et la Place des Vosges : un même style architectural voulu par Henri IV

 

La construction de la  Place des Vosges (d'abord appelée Place Royale) fut décidée par Henri IV en 1605.

Initialement dédiée à Henri IV, elle fut finalement dédiée à son fils Louis XIII après l'assassinat du Roi par Ravaillac. 

Place des Vosges (ex Place Royale)

L'architecture est due à Louis Métezeau, Maître d'oeuvre officiel de la Couronne (ici). 

Place des Vosges
 

Il s'agit d'une place presque carrée, de 140 m de côté, ceinturée d'immeubles d'habitation de 2 étages en briques rouges à chaînages de pierres calcaires blanches et toits d'ardoise très pentus, aux fenêtres à petits carreaux, d'une grande unité de présentation. 

L'Hôpital Saint-Louis, fut également voulu par Henri IV en 1607 pour accueillir les malades de la peste.

L'Hôpital St-Louis tel qu'envisagé en 1608
 

L'architecte en fut Claude Vellefaux, Maître maçon du Roi, suivant un plan très similaire à celui de la Place des Vosges : briques et pierres, pavillons très réguliers autour d'une grande cour carrée. Voir ici.

Les bâtiments historiques de l'Hôpital Saint-Louis actuellement
 

Voir ici la "Petite Histoire de l'Hôpital Saint-Louis", et ici, la présentation de l'Hôpital Saint-Louis actuel  (AP-HP) situé tout à côté des bâtiments historiques.


 Henri IV, après les guerres de religion, voulait réconcilier la France, embellir Paris, et affirmer l'autorité royale.


L'architecture était pour lui un instrument politique, un langage visuel de stabilité, d'ordre et de prospérité.


 Quels sont les points communs entre la Place des Vosges et l'Hôpital Saint-Louis ?

 Un style "à la française" en gestation : un mélange brique plus pierre blanche, qui avait déjà été expérimenté aux Tuileries et au Louvre : Henri IV en a fait un signe distinctif, avec une esthétique chaleureuse et régulière.

 Un urbanisme d'ordre et de régularité : des quadrilatères avec des pavillons uniformes.


 

La Place Royale (Place des Vosges) célébrait la Paix civile et la splendeur du Royaume: une vitrine pour l'aristocratie.

L'Hôpital Saint-Louis symbolisait l'attention du Roi envers le peuple (protéger contre la peste et soulager la misère) : une vitrine pour le peuple.


 
En somme, Henri IV voulait que ces deux ensembles parlent d'une seule voix : la régularité, la stabilité, et l'unité retrouvée du Royaume sous son autorité.

 



Le magnifique jardin ombragé de la cour intérieure de l'Hôpital Saint-Louis de Henri IV est assez peu connu, même des parisiens.

C'est un véritable havre de paix et de fraîcheur fort appréciable en ces périodes de canicule!


 

jeudi 14 août 2025

Le Parc de Belleville : une véritable pépite, avec une vue panoramique sur tout Paris

 

Situé sur le flanc ouest de la colline de Belleville, dans le 20° arrondissement de Paris, le Parc de Belleville est un havre de verdure et de paix, moins connu et moins fréquenté que les Buttes Chaumont.


 


Il est aménagé en terrasses. Son point le plus haut culmine à 108 m, offrant une vue panoramique sur la capitale.



Les escaliers sont ombragés par des pergolas, avantage incontestable par ces temps de canicule.

 


Des allées qui serpentent mènent à de vastes pelouses ouvertes et bordées de massifs fleuris, gérés avec soin par les jardiniers de la Ville de Paris.

  


Soulignant l'axe principal du Parc, la longue fontaine de 100 m de long descend de cascades en bassins.

 


Elle évoque les sources souterraines connues depuis les Romains et les aqueducs successifs dont celui de Belleville, édifié sous le règne de Philippe Auguste (1180-1223) .

 Ce beau Parc. a une histoire riche et mouvementée qui témoigne de l'évolution du quartier.

 

Jusqu'au XVIII° siècle, la colline de Belleville, alors appelée "Savies" était une zone rurale dominée par des fermes, des moulins à vent et surtout de vastes vignobles.

Dès l'époque carolingienne, on y cultivait la vigne, et au XIII° siècle, les moines de la ferme de Savies exploitaient 15 ha de vignes produisant un vin léger et pétillant appelé "guinguet", qui a donné son nom aux célèbres guinguettes.

La culture du vin a décliné après la Révolution Française.

Au XIX° siècle, l'ouverture d'une carrière de gypse a attiré une population d'ouvriers, et le quartier est devenu insalubre.

Carrière de gypse
 

Dans les années 1980, dans le cadre d'un vaste programme de rénovation urbaine, il a été décidé de créer dans ce quartier un grand espace vert, inauguré en 1988. 

En hommage à son passé viticole, un petit vignoble de 140 pieds a été planté (Pinot et Chardonnay) .

 

Le village de Belleville a été intégré à Paris en 1860.

Comme le quartier de Montmartre, il participe à l'imaginaire ouvrier et artistique parisien.

Nombre de photographes ont immortalisé ses ruelles et ses habitants, dont Willy Ronis, à partir des années 1950, qui a donné son nom au belvédère qui surplombe le Parc. Voir ici.

 

Willy Ronis (1910-2009).

 

mardi 12 août 2025

La rue Dénoyez, un hotspot incontournable du street-art à Paris-Belleville

 

Belle ambiance, rue Dénoyez, l'immanquable halte street-art du quartier de Belleville, à Paris, ses ruelles pavées, ses façades recouvertes de fresques, et l'évolution constante de l'art urbain qui l'anime!

 


Mais cette rue a une histoire fascinante, et pas seulement celle d'une simple rue qui aurait été livrée aux graffitis et aux tagueurs. 

Tout d'abord, la rue Dénoyez doit son nom à une famille de Belleville qui organisait des bals populaires, dans les années 1830, dans un lieu de fête emblématique dans le quartier : la "Folie Dénoyez" .

Et ceci, c'était bien avant l'annexion de la Commune de Belleville par Paris en 1859 (ici). 

 

Un souvenir tragique a marqué son histoire : le 23 mars 1918, un obus tiré par la Grosse Bertha explose au numéro 10 de la rue. 

Puis, la rue s'est trouvée dans un triste état de déclin 



 Des artistes de rue, souvent issus de squats ou d'ateliers alternatifs, ont commencé à investir les murs, souvent en défiant la Mairie, qui les repeignait régulièrement... 

Le quartier de Belleville, traditionnellement multiculturel et populaire offrait un terrain propice au développement de cette expression artistique alternative.


 

Il faut ensuite attendre les années 2000 pour que la rue Dénoyez passe du quasi-anonymat au statut de galerie à ciel ouvert : en effet, la Municipalité de Paris a finit par céder à l’effervescence créatrice.

 

Bertrand Delanoë, alors Maire de Paris a fini par offrir aux street-artistes un cadre légal : cette décision politique a permis de transformer ce qui était autrefois considéré comme du vandalisme en une forme d'art reconnue et encouragée.



 

Dès lors, la rue est en perpétuelle transformation, les œuvres se succèdent, se recouvrent et évoluent sans cesse : collages, pochoirs, mosaïques, fresques, et même de toutes petites œuvres, qu'il faut chercher et découvrir. 



 

Des artistes renommés, comme Manyoly, Kam Lauren, Lolie Darko, RNST, Zelda Bomba, Nô et bien d'autres y laissent leur empreinte. 


 

L'histoire récente de la rue a également été marquée par des tensions. Une banderole "Sauvons la rue Dénoyez" flottait au dessus de la rue en 2014. Elle montrait l'opposition des habitants et des associations au projet immobilier de logements sociaux de la Mairie, "Mon Petit 20°".

Malgré tout, de nouvelles constructions ont grandi, mais ont été graphiquement  enrichies par les artistes et elles ont finalement intégré l'esthétique urbaine de la rue.


 

Les défis demeurent toujours, dans un quartier vivant et vibrant comme Belleville, entre gentrification et préservation de l'identité du quartier. 

 

La rue Dénoyez reste cependant un laboratoire à ciel ouvert, et on y trouve toujours quelqu'un en train de peindre à la bombe, perpétuant cette tradition urbaine libre et légale, unique à Paris. 

  


vendredi 8 août 2025

"Le Paris d'Agnès Varda, de-ci, de-là", une exposition unique au Musée Carnavalet, intimiste et universelle

 

L'Exposition "Le Paris d'Agnès Varda, de-ci, de-là" se tient actuellement au Musée Carnavalet à Paris, jusqu'au 24 Août 2025.

 


Elle explore la relation étroite entre Agnès Varda, cinéaste emblématique de la Nouvelle Vague, et Paris à travers une sélection de 130 clichés photographiques inédits, extraits de films, documents, objets personnels et affiches.





 
 Cette exposition passionnante met en lumière le parcours photographique méconnu d'Agnès Varda et  l'atmosphère unique de son laboratoire de création : la cour-atelier de la rue Daguerre (14° arrondissement), qu'elle occupe de 1951 à 2019.

 

L'exposition brosse un portrait de Varda comme artiste nourrie par Paris, fusionnant documentaire et fiction avec humour, poésie et étrangeté : des portraits de passants, des scènes de rue surréalistes et des notes visuelles inspirées du surréalisme. 

 


 

On plonge ainsi dans une réalité augmentée par l'imagination où chaque détail urbain devient une mise en scène vivante de la mémoire et de l'émotion.


 

 


Cette belle et unique exposition offre une expérience à la fois intimiste et universelle où Paris se révèle à travers le regard tendre, facétieux et lucide d'une artiste qui puise sans cesse son inspiration "de-ci, de-là".