jeudi 13 février 2025

Un livre prémonitoire du Prix Nobel Sinclair Lewis, en 1935 : "Impossible ici" ("It Can't Happen Here")

 

Sinclair Lewis (1885-1951) a eu à cœur de dire la société américaine moderne et monotone, sa classe moyenne aisée, et de critiquer sa vulgarité affairiste et consumériste et son hypocrisie. Voir ici.

Sinclair Lewis
 

Il fut le premier Américain  à recevoir le Prix Nobel de Littérature en 1930.

Ce prix récompense tout particulièrement Babbitt (1922), l'un de ses romans les plus connus.

Mais il a également publié, en 1935,  un livre prémonitoire :"It Can't Happen Here", publié par Gallimard en 1937 en traduction française de Raymond Queneau (Voir la réédition "Impossible ici", Ed de La Différence, 2016).


L’œuvre imagine et décrit la montée d'un fascisme aux Etats-Unis en 1935 et l'instauration d'une dictature.

En pleine période de crise économique, Berzelius "Buzz" Windrip, leader politique charismatique qui affirme incarner les vraies valeurs traditionnelles américaines, défait ses concurrents en promettant de lourdes réformes économiques et sociales afin de restaurer la grandeur du pays

Très vite, les pulsions autocratiques du nouveau Président apparaissent au grand jour.

Alors même qu'il expédie tous ses opposants dans des camps et qu'il met sur pied une milice paramilitaire, il continue de jouir du soutien de la majorité des Américains. 

Cette dystopie satirique peut sonner comme une mise en garde salutaire très actuelle pour tous ceux qui croient encore mordicus que l'avènement d'un candidat extrémiste est Impossible ici, aux États-Unis.

Longtemps oublié, ce roman captivant, d'une lucidité à la fois drôle et glaçante, est redécouvert aux USA avec succès.

 En effet, Lewis imagine l'impensable, au pays des libertés : la mise en place d'une véritable dictature, par le biais même de ces institutions dont les Américains sont si fiers.

 

Très vite, avec quelques uns de ses proches, le nouveau Président va instaurer une  autocratie violente et arbitraire, et tout se déroule sous les yeux d'une population soit enthousiaste soit apathique, peu préoccupée par les ennuis des voisins, tant que l'ordre règne et que les affaires continuent.

 Bien que ce roman soit forcément daté, bien avant l'avènement des réseaux sociaux et du pouvoir exorbitant des géants de la tech, on ne peut s'empêcher de s'interroger : Et si tout cela finissait par arriver, "Ici et Maintenant" ?

Tout rapprochement avec des personnages faisant en ce moment la une de l'actualité serait bien entendu pure fiction... 

Voir la vidéo ici , ou l'actualité en chantant.


vendredi 7 février 2025

Une femme libre et courageuse : Mariann Edgar Budde, évèque épiscopalienne de Washington

 

Lors de la cérémonie de prière inaugurale à la Cathédrale Nationale de Washington, le tout nouvellement intronisé Président des États-Unis, a été "contraint", au premier rang, d'écouter le sermon de Mariann Budde, évêque épiscopalienne de Washington .

Mariann Edgar Budde

Dans son homélie, l'évêque Budde a exhorté le Président à faire preuve de miséricorde envers les personnes vulnérables, notamment les enfants LGBTQ+ et les immigrants, soulignant que beaucoup vivaient dans la peur.

Elle a également insisté sur le fait que la majorité des immigrants ne sont pas des criminels, mais des voisins respectueux qui contribuent à la société.


L'évêque Mariann Budd s'est soudainement adressé au Président, visiblement mal à l'aise,  à la fin de son sermon : "Permettez moi de vous adresser un dernier appel, Monsieur le Président : des millions de personnes vous ont fait confiance. Comme vous l'avez dit à notre pays hier, vous avez vous même senti la main providentielle d'un Dieu aimant.

Au nom de notre Dieu, je vous demande d'avoir pitié de ceux qui ont peur en ce moment dans notre pays.

Les enfants gays, lesbiennes et transgenres des familles démocrates, républicaines et indépendantes. Certains craignent pour leur vie.

Et les gens qui cueillent nos récoltes, qui nettoient nos bureaux, qui peinent dans les élevages de volailles et les abattoirs, qui font la plonge après que nous dînons dans les restaurants, et qui travaillent la nuit dans les hôpitaux."


Austen Iverheig, biographe du Pape François a écrit sur X que l'évêque avait "dit la vérité" et que les expressions d'inconfort du Président et de son Vice-Président ont bien montré qu'elle avait visé juste.

Après le service, le Président a vivement critiqué l'évêque sur sa plateforme Truth Social, la qualifiant de "soi-disant évêque", "haineuse radicale de la gauche dure".

En colère, le nouveau Président a décrit son sermon comme "méchant dans le ton", "pas convaincant ni intelligent", ajoutant que "le service était très ennuyant et peu inspirant".

Il a également exigé des excuses de l'évêque et de son église.

En réponse, l'évêque Budde a déclaré qu'elle ne s'excuserait pas d'avoir plaidé pour la miséricorde envers les autres.

 

Rappelons qu'en 2020, l'évêque Budde avait écrit un billet dans le New York Times où elle se disait "indignée par l'utilisation par Donald Trump de la Bible qu'il avait brandie devant l'Eglise St John's après que des officiers aient utilisé des gaz lacrymogènes contre des manifestants en faveur de la justice raciale sur la place Lafayette toute proche."


Voir ici les infos à ce sujet sur CNN.

vendredi 17 janvier 2025

A Paris, l'héritage des Templiers, une histoire fascinante

 

L'histoire du Temple, à Paris, est fascinante et remonte à l'époque médiévale.

Situé dans le Marais, le quartier du Temple est lié à l'Ordre des Templiers, une puissante organisation religieuse et militaire fondée au XII° siècle (Voir ici).

L'enclos du Temple au Moyen Âge (Gravure de  A. Robida, BNF)
 

 

Après le procès intenté contre les Templiers en 1307 par Philippe le Bel, l'Enclos du Temple est donné à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, qui le conserveront jusqu'à la Révolution en 1792, date de la disparition de cet Ordre.

La Tour du Temple est alors transformée en prison et accueillera Louis XVI et sa famille.

La Tour du Temple

La Tour du Temple fut donc le symbole des Templiers, le Dépôt du Trésor Royal au Moyen Âge et Prison Royale à la Révolution.

Voulant faire cesser les pèlerinages des royalistes après la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette, Napoléon fit détruire la Tour en 1808, ce qui prit pas moins de deux ans.

Bien que les bâtiments originaux aient disparu, l'héritage des Templiers demeure dans le nom du quartier et de certains lieux.

On peut citer la Place du Temple, le Square du Temple-Elie-Wiesel, le Carreau du Temple, la Rue du Temple, la Rue du Faubourg du Temple.

Le Café du Temple, 14, rue du Fg du Temple
 

Cette rue, limitrophe entre les 10° et 11° arrondissements, est située dans un ancien faubourg populaire et s'étend de Belleville à la Place de la République, avec une histoire riche liée aux guinguettes et à la vie nocturne parisienne (Voir ici).

La rue du Faubourg du Temple traversait le hameau situé à l'extérieur de la porte du Temple du mur d'enceinte qui desservait l'Ordre des Templiers, et elle est tracée dans le prolongement de la rue du Temple qui elle, va de la rue de Rivoli à la Place de la République.

A partir du XIII° siècle, les riches bourgeois de Paris y établissent leurs demeures au milieu de jardins potagers, les "courtils", qui donnèrent le nom de "La Courtille" au hameau.

Des cabarets, les guinguettes, y délivraient un vin de qualité moyenne, le "guinguet", exempté des droits sur le vin appliqués à l'intérieur de Paris, et La Courtille devint un lieu de divertissements.

Le Temple reste une part emblématique de l'histoire médiévale mais aussi révolutionnaire parisienne et française et laisse place à des souvenirs et des récits fascinants.


vendredi 10 janvier 2025

En Albanie : Gjirokastra, une "ville de pierre" fascinante

 

Gjirokastra (ou Gjirokastër) est une ville fascinante du sud de l'Albanie, que j'ai eu l'occasion d'admirer en octobre dernier, lors d'un voyage formidable dans ce beau pays : une très belle découverte!

L'Albanie, avec Gjirokastër au sud
 

Cette ville ottomane préservée et classée au Patrimoine mondial de l'Unesco est l'une des plus belles villes des Balkans.

Elle est souvent appelée "La Ville de pierre"en raison de son architecture caractéristique et de ses toits en ardoise.

 

Une ville animée et fort sympathique.

Gjirokastra est célèbre, entre autres,  pour ses grandes maisons fortifiées datant de l'époque ottomane, telle la "Maison Skenduli", construite vers 1700, que nous avons pu visiter.

L'extérieur de la Maison Skenduli

La famille Skenduli était l'une des plus riches familles du sud de l'Albanie à cette époque, 

Le descendant de la famille, et propriétaire actuel, Nasip Skenduli, nous a guidé et fait visiter les lieux, visite agrémentée d'histoires et d'anecdotes passionnantes.

L'intérieur de la Maison Skenduli



Nous n'avons malheureusement pas pu visiter le château de Gjirokastra, l'un des plus grands châteaux d'Albanie, qui domine la ville et la vallée de la Drino, suite à une pluie battante et un brouillard dense sur les hauteurs.

Voici le château tel que nous aurions pu le voir par beau temps!

La ville reflète un mélange d'influences byzantines, ottomanes, et communistes.

Elle est le lieu de naissance de plusieurs personnages célèbres, comme Ismail Kadaré, l'écrivain francophone le plus célèbre des Balkans (ici).

Ismail Kadaré

Voir ici et mes deux notes sur cet écrivain passionnant.

On ne peut pas ne pas mentionner également Enver Hoxha, l'ancien dictateur communiste d'Albanie, né à Gjirokastra, de sinistre mémoire, bien que le silence soit désormais de règle sur ses exactions (ici).

Le dictateur Enver Hoxha en 1971

 

Une anecdote : le dictateur mégalomane avait fait placer son nom en lettres gigantesques sur une colline albanaise bien en vue, et après sa mort, les albanais se sont empressés de déplacer deux lettres et d'afficher ainsi "Never Hoxha"!

Les ruelles étroites et pavées de motifs noirs, blancs et roses de la vieille ville, leurs maisons biscornues, et leurs bazars traditionnels aux habitants aimables sont un véritable voyage dans le temps.

A noter également que Lord Byron séjourna dans cette région en 1809.

Dans "Le Pélerinage de Childe Harold", Byron évoque l'Albanie comme un lieu de beauté sauvage et de mystère, reflétant les thèmes de la nature et de la solitude: ici.

Lord Byron (1788-1824)

Ne pas mentionner la gastronomie locale serait une erreur : les plats vous font voyager dans le temps, et au travers d'influences variées et fort savoureuses!



Sans oublier le raki local...pour les amateurs.


Gjirokastra est une destination parfaite pour les amateurs d'histoire, de culture, de paysages et de gastronomie!

 

vendredi 3 janvier 2025

Opéra : Rigoletto de Verdi à l'Opéra Bastille, dans une version inédite et glacée

 

J'ai assisté, juste avant les fêtes de Noël, à l'Opéra Bastille, à une représentation de Rigoletto de Verdi, dans la production de Claus Guth, débutée en avril 2016, qui offre une nouvelle perspective, à mon avis discutable, sur l’œuvre de Verdi.


 
Claus Guth, metteur en scène

 Cette mise en scène nous a proposé une vision glacée, qui a peiné à susciter l'émotion, malgré la qualité musicale de l'orchestre (Dirigé par Domingo Hindoyan) et des interprètes: Roman Burdenko (Rigoletto), Henri Bernard Guizirian (Double de Rigoletto), Rosa Feola (Gilda), Liparit Avetisyan (Le Duc de Mantoue).

Roman Burdenko

Rosa Feola

Claus Guth a choisi un décor en forme de gigantesque  boite en carton symbolisant les souvenirs et la malédiction qui pèse sur le personnage principal, Rigoletto, représenté comme un clochard tourmenté par son passé et pétri de remords, qui revit la mort de sa fille à laquelle il a contribué bien involontairement.


Le choix scénographique à mon avis regrettable est celui de l'inclusion de vidéos candides (c'est très à la mode en ce moment...).

 

L'opéra est un long flash-back où Rigoletto revit les tragédies de sa vie à travers une petite boite en carton qui contient ses souvenirs, en particulier la robe ensanglantée de Gilda.

On retrouve bien, tout au long de cet opéra, les thèmes du patriarcat, de la superficialité de la noblesse, de la tragédie de la malédiction.

 

J'ai trouvé que les choix de mise en scène lors de l'enlèvement de Gilda étaient plus que confus, ainsi que celui de représenter Gilda à trois âges de sa vie par trois ballerines, inutile.

Personnage paradoxal, Rigoletto est à la fois un bouffon difforme, servant le Duc de Mantoue dans ses opérations de séduction, et l'incarnation de l'amour paternel à l'égard de sa fille Gilda.

C'est un opéra magnifique, que j'ai (plus ou moins) apprécié dans différentes mises en scènes : une, anachronique, au Met de New-York, qui se déroule à Las Vegas ! (ici), une magnifique à l'Opernhaus de Zürich (ici), et celle que j'ai de loin préférée, splendide, au Gran Teatre del Liceu, à Barcelone (ici).

A l'Opéra Bastille, le public a applaudi chaleureusement les artistes et cette matinée a fait ... carton plein.

La scène finale


vendredi 6 décembre 2024

Photographie : Le phénomène Vivian Maier

 

Depuis la découverte de l’œuvre photographique de Vivian Maier en 2007-2009 par John Maloof, jeune agent immobilier de 25 ans, le "phénomène Vivian Maier" prend de l'ampleur, et les expositions se multiplient un peu partout : ici.

Vivian Maier (1926-2009)

Voir ici la biographie de Vivian Maier.

J'ai eu l'occasion de m'émerveiller à nouveau, il y a quelques jours, devant les photographies de Vivian Maier exposées au Musée de la Photographie Charles Nègre de Nice (du 19 oct 2024 au 16 mars 2025).

Il est bien connu désormais que Vivian Maier travailla comme gouvernante d'enfants à Chicago au début des années 1950 et pendant plus de quatre décennies, tout en menant une activité intense de photographe autodidacte.


Son corpus photographique colossal comptait, lorsqu'il a été découvert,  plus de 120 000 négatifs, des films, des enregistrements divers ainsi qu'une multitude de pellicules non développées.


 

Elle photographiait la rue, les gens, les objets, les paysages, tout ce qu'elle voyait, tout simplement.


Elle racontait la beauté des choses ordinaires, cherchant dans le quotidien et le banal l'irruption furtive du réel.


 Son monde c'était les autres, les inconnus, les anonymes.



 Elle a réalisé de nombreux autoportraits avec l'insistance de quelqu'un qui est en quête de soi-même. 



La rue était son théâtre, ses images, un prétexte.

Son œuvre immense, en Noir et Blanc, puis en couleur, est à la fois fascinante et mystérieuse.

 

Pour plus de photographies, voir sur le site qui lui est consacré : ici.

Voir également  ici une présentation de photographies de Vivian Maier.

Voir ici une interview à propos de la découverte des photographies de Vivian Maier.