vendredi 9 octobre 2020

Comancheria (Hell or High Water) de David Mackenzie : un grand moment de cinéma

 

Comancheria était programmé jeudi 8 octobre 2020 sur France3 : un grand moment de cinéma, et une belle découverte!


Le film de David Mackenzie a été présenté au Festival de Cannes 2016 et a été projeté dans la sélection "Un certain regard".




Le titre en anglais : "Hell or High Water" peut se traduire par "Quand bien même l'enfer et le déluge s'abattraient sur nous": il fait référence à une clause inscrite sur certains contrats de prêt aux USA décrivant la nécessité pour l'emprunteur de procéder au remboursement, quelles que soient les difficultés qu'il pourrait rencontrer.

David Mackenzie, né en 1966,  est un réalisateur écossais au parcours éclectique : voir ici et .


David Mackenzie tire à bout portant sur la "belle Amérique"et nous offre une critique amère d'un pays baigné dans la crise économique, dans un film étonnant qui mélange les genres du western, du thriller et du film de casse.

David Mackenzie


Nous avons, avec Comancheria, un superbe film noir dans un Texas (et une Amérique) en crise, qui mêle drame humain et western post-moderne.

Deux frères au bord de la faillite,  des braquages et deux policiers texans à leurs trousses (un Texas Ranger bientôt à la retraite et son adjoint Comanche).

Les deux frères, Toby et Tanner Howard
(Chris Pine et Ben Foster)

Les deux Texas Rangers
(Jeff Bridges et Gil Birmingham)

Pour éviter la saisie de leur propriété familiale, suite à une manipulation et un abus de faiblesse sur leur mère (qui rappelle la crise des subprimes), par la banque qui veut se saisir de sa terre, riche potentiellement en pétrole, les deux frères décident de commettre une série de braquages visant uniquement les agences d'une même banque : celle qu'ils doivent rembourser.

Voir ici la bande annonce du film.

Dès le départ, nous sommes dans l'ambiance : un patelin texan perdu, comme il y en a tant et tant en Amérique, et un graffiti sur un mur, qui dénonce le sort réservé aux soldats vétérans, qui sont abandonnés par l'état et qui ne bénéficient d'aucune aide sociale.

Le film repose sur les relations et l'empathie qui unissent d'une part les deux frères et d'autre part le Ranger et son adjoint Comanche.

Les deux frères, magnifiquement interprétés par Chris Pine et Ben Foster, sont devenus braqueurs de banque par nécessité, et on ne peut ressentir pour eux que de l'empathie.

Chris Pine

Ben Foster

Le vieux Texas Ranger proche de la retraite, Texan pur jus, le magnifique Jeff Bridges, irascible et cynique à souhait, et son adjoint, Gil Birmingham, ranger d'origine Comanche attendent avec calme de pouvoir mettre la main sur les braqueurs et leurs répliques truculentes et sarcastiques font notre bonheur : nous avons là un véritable couple qui n'arrête pas de s'asticoter.

Jeff Bridges

Les véritables criminels, ce sont les banques, qui s'approprient les terres des pauvres gens, sans que personne ne puisse rien faire.

La photographie est absolument sublime et a su saisir parfaitement la désolation de ces terres que j'ai souvent parcourues. 


Les paysages, supposés être ceux des mornes plaines du Texas sont fabuleux de tristesse et de désolation ; ils traduisent bien le désenchantement du Midwest, même si le film a été tourné entièrement au Nouveau Mexique. 

Le scénario est beaucoup plus profond et complexe qu'il n'y parait au premier abord, car Comancheria n'est pas qu'un film d'action!



Il nous parle des problèmes des éleveurs de bovins, de la fièvre du pétrole, du drame vécu par les indiens Comanche, de l'immigration mexicaine, et bien entendu, du rôle joué par les banques.

Photo Le Promeneur du 68 prise
en 2011 au Texas : les éleveurs de bovins,
il y a une scène
similaire dans le film.


La musique du film, composée par Nick Cave (ici) et Warren Ellis est magnifique : ici.

Nick Cave et Warren Ellis

On y entend aussi la musique du texan Townes Van Zandt (ici) : Dollar Bill Blues (ici).

Townes Van Zandt

Un grand moment de cinéma!




vendredi 2 octobre 2020

En Alsace : les sorcières du Bollenberg


La colline insolite du Bollenberg est située au sud de Rouffach, près de Colmar (En Alsace, dans le Haut-Rhin).

C'est la plus importante des cinq collines du Canton de Rouffach, protégées pour leur faune et leur flore.

Vue aérienne de Rouffach

Rouffach, au sud de Colmar

La colline du Bollenberg, non loin
de Soultzmatt, Westhalten et Orschwihr

Le Bollenberg est une colline insolite, de par sa situation et son exposition et qui culmine à 363m.

Elle est clairement détachée du Massif Vosgien et bénéficie d'un ensoleillement exceptionnel tout au long de la journée, avec ses trois versants en exposition sud, sud-est et sud-ouest, ce qui est très rare en Alsace.

Aucun sommet environnant ne vient interrompre les rayons du soleil, de son lever à son coucher.

Sa composition géologique est variée : une partie argilo-calcaire compacte, la crête, et une autre constituée de galets et de sables.

Le Bollenberg est constitué de landes à l'atmosphère étrange.



Mais sur ses pentes, la vigne se développe bien.


Le micro-climat de la colline du Bollenberg est de type méditerranéen, comparable à celui des calanques marseillaises.

De ce fait, on y trouve une flore exceptionnelle : orchidées, géraniums sanguins, tulipes sauvages et muscari.

Il s'y trouve également une faune spécifique : Huppe fasciée (oiseau papillon), et lézards verts.

La Huppe fasciée du Bollenberg

Le Lézard vert du Bollenberg

On trouve de ce fait sur cette colline de nombreuses plantes médicinales, une grande variété de fleurs et de baies, très prisées des herboristes, des guérisseurs, ... et des sorcières.

Et voilà, nous en arrivons à la légende du Bollenberg.

Donc, vers la fin du Moyen-Âge, les herboristes et les guérisseurs étaient nombreux à venir profiter de la flore exceptionnelle.

Souvent considérés comme des sorciers et des sorcières, ils ont contribué à ce que le Bollenberg soit désigné comme un lieu de réunions et de pratiques sabbatiques.

Satan et les sorcières

Les légendes sont nombreuses, évoquant les rencontres de nuit au Bollenberg avec le diable, et les débauches sataniques qui s'y déroulaient...


Les participants y étaient arrêtés, emprisonnés dans la tour des sorcières de Rouffach en attendant d'être jugés, ou pas, et brûlés.

La Tour des Sorcières à Rouffach

Les archives de l'époque font état d'un nombre impressionnant de condamnés, et, en l'an 1615, on ne compte pas moins de 62 procès pour sorcellerie à Rouffach.

L'année 1630 a vu se dérouler des scènes horribles au Bollenberg (tortures, mutilations perpétrées par les bourreaux).

Pour empêcher le rassemblement des sorcières sur la colline du Bollenberg, une chapelle fut érigée, dédiée à Sainte Appolonia.

La Chapelle est à l'est du village d'Orschwihr, sur un éperon rocheux calcaire, et visible de loin.




La construction de la chapelle actuelle, vers la fin du XIX° a permis de découvrir les vestiges d'une église primitive du VII° siècle, entourée d'un cimetière mérovingien.

C'est probablement de Belen, le dieu celte du feu, associé à la vie pastorale, que provient le nom de Bollenberg et nos ancêtres devaient y pratiquer le culte solaire.

Belen, ou Belenos, dieu celte du feu

Une forte tradition locale subsiste : dans la nuit du 14 au 15 Août, la Chapelle, appelée également "Chapelle des sorcières"("Haxa Kappal"; Hexe signifiant la sorcière), est illuminée par le célèbre "Haxafir"(Feu des Sorcières) et on y brûle le mannequin d'une sorcière sur un bûcher spectaculaire.


L'Haxafir au Bollenberg


Tous les ans se tient à Rouffach la "Fête de la Sorcière", grande manifestation qui permet aux visiteurs de se plonger dans une ambiance médiévale unique, étrange et mystérieuse (sauf cette année pour cause de Covid).



Pendant près de deux siècles, une chasse aux sorcières a embrasé la Vallée du Rhin.

Entre 1440 et 1660, près de 5000 personnes et principalement des femmes sont exécutées en Alsace.
Voir ici.

Un ouvrage sert de référence aux juges civils et religieux dans les procès en sorcellerie : le "Malleus Maleficarum", ou " Marteau des Sorcières" (C'est-à-dire "Marteau contre les sorcières") , écrit par le moine dominicain inquisiteur alsacien Henri Krämer (ici) et le Suisse Jakob Sprender , autre inquisiteur dominicain (ici) et imprimé à Strasbourg en 1487. Voir ici.


Ce livre sur la sorcellerie avait d'abord été commandé par le Pape Innocent VIII avant d'être finalement interdit par l'Eglise Catholique Romaine en 1490.

Mais cet ouvrage a néanmoins "justifié" le programme de répression de l'Eglise et les massacres qui s'ensuivirent.

La motivation principale de ces procès en sorcellerie est la peur de tout ce qu'on ne comprend pas, et on cherche un ou une responsable.

Les condamnations à mort des soi-disant sorcières était aussi un prétexte pour se débarrasser des femmes qui dérangeaient, d'une façon ou d'une autre.



A signaler un ouvrage particulièrement bien documenté de Jacques Roehrig sur le sujet : L'Holocauste des Sorcières d'Alsace.