vendredi 23 février 2024

"Taqawan" de Eric Plamondon : les luttes des amérindiens Micmac du Québec

 

Le livre d'Eric Plamondon, Taqawan, paru en 2018, nous raconte une histoire de luttes et de pêche, d'amour, tout autant que de meurtres et de rêves brisés.



L'auteur, Eric Plamondon, est né au Québec en 1969. Il a étudié l'économie et le journalisme à l'Université Laval et la littérature à l'UQAM (Université du Québec à Montréal) : ici.

Eric Plamondon

Ce roman, basé sur des faits réels, nous fait revivre les évènements qui se sont déroulés le 11 juin 1981 au  sud de la Gaspésie, lorsque 300 policiers de la Sureté du Québec débarquent dans la communauté de Listuguj (ici), sur la rivière de Restigouche, pour s'emparer des filets des Indiens de la nation Mi'gmaq (ou Micmac) et leur interdire la pêche du saumon, ancestrale et vitale pour eux.

Les Micmacs (Est du Québec)

Les Micmacs sont un peuple autochtone de la côte nord-est d'Amérique, faisant partie des peuples algonquiens. "Micmac" signifie "Mes frères". Voir ici .

Couple Micmac

Il y a aujourd'hui 29 groupes distincts de cette ethnie au Canada.


Voir ici une information complète sur le peuple Micmac sur l'Encyclopédie Canadienne.

Nombre de ces amérindiens parlent encore la langue micmac au Québec : ici.

Dans la langue micmac, "Taquawan" est le nom donné au saumon qui revient dans sa rivière natale pour la première fois, après un long voyage en mer.


Arrivés il y a plus de dix mille ans, ces "premiers humains", comme ils se nommaient, venus de l'ouest par le Détroit de Béring, étaient déjà présents dans cette partie du monde, bien avant l'arrivée des Vikings, puis des Européens.


La répression policière de juin 1981 est disproportionnée, et une crise politique s'ensuit.

Ce livre, "Taquawan" se nourrit de légendes comme de réalités, du passé et du présent, celui d'un peuple millénaire méprisé et bafoué dans ses droits ancestraux.


"Dans l'Ouest, l'homme blanc a réussi à éliminer les Indiens en éliminant les bisons. Dans l'Est, il y avait des saumons.

On les a péchés à coup de barrages, de nasses et de filets jusqu'à l'épuisement des stocks. Les Indiens aussi sont épuisés" .

La rivière Restigouche
au sud de la Gaspésie (Québec)


"Ici, on a tous du sang indien. Et quand ce n'est pas dans les veines, c'est sur les mains."

Ce petit livre alterne des chapitres courts et variés. Il mélange de façon remarquable tous les styles : polar, histoire, légendes indiennes, pamphlet politique.

C'est au coeur de ce pan d'Histoire authentique que se retrouvent coincés les personnages (fictifs) d'Eric Plamondon.



Ce roman très rythmé est intense, humain et émouvant : une Histoire criante d'injustice.

En exergue, ce mot d'Albert Camus " Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme."

Les origines du conflit qui a mené à cette "Guerre du Saumon" datent de la Nouvelle France : voir ici cet historique.


Les violentes incursions de la police lors de ces évènements, et leurs conséquences ont été documentées par Alanis Obomsawin dans son film de 1984 : "Les évènements de Restigouche", ici

Voir ce documentaire ici.


vendredi 16 février 2024

A l'Hôtel de Caumont, à Aix : Mucha, Maître de l'Art Nouveau, mais pas que

 

En collaboration avec la Fondation Mucha, l'Hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, consacre cette année (jusqu'au 24 Mars 2024) son exposition d'hiver au grand Maître tchèque de l'Art Nouveau, Alfons (ou Alphonse) Mucha, un artiste aux deux visages.

Alfons Mucha
1860-1939

Cet artiste prolifique, révolutionnaire et visionnaire a appliqué son esthétique, reconnaissable entre toutes à de multiples domaines, comme les affiches, la publicité, la décoration intérieure, le théâtre de la Belle Epoque,...


L'Hôtel de Caumont, Centre d'Art situé dans un splendide Hôtel particulier du XVIII° siècle, fournit un écrin exceptionnel à cette très belle exposition consacrée à cet artiste que j'apprécie particulièrement (ici). 

L'Hôtel de Caumont
Aix-en-Provence

Grand escalier de l'Hôtel de Caumont

(Voir ici pour info ma note sur une très belle exposition en 2017 à l'Hôtel de Caumont, consacrée à Marilyn Monroe.)

Voir ici ma note sur l'Art Nouveau et Mucha à Prague.

Illustrateur virtuose et peintre monumental, Mucha fut un artiste parisien reconnu et célébré mais aussi un patriote tchèque convaincu.

Mucha pratiquait aussi la photographie

Lorsque Mucha dessine l'affiche ( tirée à 4000 exemplaires), pour la pièce de théâtre Gismonda interprétée par Sarah Bernhardt, l'oeuvre est très appréciée par l'actrice.


Il y a une véritable rencontre providentielle, dès le 26 décembre 1894, entre Mucha et Sarah Bernhardt, c'est-à-dire entre l'image magnifiée, sublimée qu'elle souhaite donner d'elle-même, et le style de Mucha.

Cette affiche le fait accéder à une véritable reconnaissance, en associant son nom à celui de la "Divine". D'autres affiches suivront.



C'est à travers cette coopération avec la "Divine" Sarah que Mucha pose les jalons d'un style qui marquera toute une époque.


La puissance de sa ligne souligne la sensualité des corps féminins et de leurs drapés voluptueux tandis que leurs chevelures se transforment en arabesques.





Il participe également à nombre de campagnes publicitaires pour des marques : le "style Mucha" fait vendre!



Mais tout parisien qu'il soit, Alfons Mucha n'a jamais quitté sa terre natale, et un évènement va l'y ramener.

Le gouvernement autrichien lui confie la décoration du Pavillon de la Bosnie Herzégovine au sein de l'Exposition Universelle de 1900 et l'artiste en fera un manifeste des aspirations slaves.

Le second visage de Mucha apparait alors au grand jour et c'est un nouveau départ pour l'artiste.

Il réalise que le travail décoratif ne lui apporte pas de réelle satisfaction.

Autoportrait
1899

Son oeuvre bascule alors dans une aspiration plus engagée au service de l'humanité et de la fraternité universelle.

La grande histoire du Peuple Slave

Il décide alors de consacrer le reste de son oeuvre à sa Nation : ce sera l'Epopée Slave, une série de vingt toiles monumentales. Il rentre alors définitivement à Prague.

L'autre vie de Mucha commence, qui va durer trente ans.

En 1918, il dessine les premiers billets de banque et timbres de la jeune République Tchèque. 



En 1931, la Cathédrale St Guy lui commande deux vitraux.



Affichiste prolixe et charmeur, Mucha était aussi un homme nourri de spiritualité et de convictions politiques.

Il adhère avec ferveur à l'émancipation des peuples et peint la souffrance des opprimés, dans un style moins connu du public.

Il infuse désormais dans ses sujets un socialisme sentimental et humaniste.

Le Baiser de la France à la Bohème

Sa fille Jaroslava en jeune fille slave

"Le coeur tchèque"

"La Russie doit se redresser"

"Etude pour femme dans le désert"

Dès l'entrée des troupes allemandes à Prague en 1939, il est arrêté par la Gestapo pour ses idées patriotiques.

Brisé par son incarcération, Alfons Mucha meurt quelques mois plus tard.



mercredi 14 février 2024

Randonnée au Tholonet, sur les pas de Cézanne et vers le barrage de Zola (père)

 

Depuis Aix-en-Provence, où j'étais fin janvier, la route n'est pas très longue pour rejoindre le petit village historique du Tholonet.

Les rivières de l'Arc et de la Cause traversent son territoire, et depuis le village, on a des vues magnifiques sur la Montagne Sainte-Victoire (ici) et la superbe campagne qui l'entoure.

Le Tholonet était l'un des lieux préférés de Cézanne.

Le Chateau du Tholonet, construit en 1470,
restauré en 1640
est actuellement propriété de la Société du Canal de Provence

On peut s'y rendre en prenant la "Route Paul Cézanne" (D17, 7 km) ou on peut s'y rendre facilement en bus, et c'est ce que nous avons fait.

Classée en 1959, celle que l'on appelle aussi "la petite route du Tholonet"reste marquée par l'empreinte de son peintre éponyme : attaché à vie à sa Provence natale, Paul Cézanne s'en inspire pour ses futures oeuvres avant-gardistes.

Paul Cézanne empruntera régulièrement durant toute sa vie cette petite route sinueuse de campagne qui traverse des pinèdes, des vignes, des champs et des oliveraies pour se rendre à la Montagne Sainte-Victoire, un de ses lieux d'inspiration de prédilection.

La Montagne Sainte-Victoire vue de Bellevue

Au départ de cette belle et facile randonnée (6km, dénivelé 300m, 2h30) nous passons devant un ancien moulin datant du XVII° siècle, dit "Moulin Cézanne", en hommage au peintre, situé sur une éminence exposée à tous les courants d'air. Il abrite des expositions de peintures et de sculptures.

Le "Moulin Cézanne"

En face du moulin se trouve l'Eglise Sainte-Croix, où, dit-on, Cézanne venait régulièrement prier lors des Vêpres.

Eglise Sainte-Croix du Tholonet

Cette randonnée est magnifique et on comprend vite pourquoi Cézanne aimait se promener et poser son chevalet en ces lieux typiquement provençaux : pinèdes, terre rouge, roches grises, ciel bleu azur sur lequel se détache la Montagne Sainte-Victoire

La palette de couleurs y est extraordinaire.



La Sainte-Victoire

Le sentier nous mène ensuite vers le "Barrage Zola" construit par François Zola, le père de l'écrivain et ami de Cézanne, Emile Zola.

D'une hauteur de 36m, il est maçonné et a une capacité de 200 000m3.

Situé dans les gorges de l'Infernet, en aval du barrage de Bimont, il a été conçu par l'ingénieur François Zola (né à Venise en 1796 et mort à Marseille en 1847). Voir ici.

Francesco Antonio Giuseppe Maria Zolla
dit François Zola


L'ingénieur François Zola, sa femme
et leur fils Emile

Mis en service en 1854 après la mort de François Zola, et exploité jusqu'en 1877, et l'un des premiers barrages voûtes, il avait pour vocation l'alimentation en eau d'Aix, ainsi que l'irrigation des terres cultivables. Voir ici et .

Depuis le barrage, vue sur la Sainte-Victoire

Le "Barrage Zola" peint par Cézanne

Près du Barrage Zola, on aperçoit les ruines d'un ancien barrage romain et celle d'un ancien aqueduc.

La Via Aurelia, l'une des principales voies de l'Empire Romain,  passait en bordure sud de la commune du Tholonet.

En résumé, une très belle randonnée, consacrée à la découverte des paysages magnifiques qui ont inspiré Cézanne, propices à la contemplation.


mardi 13 février 2024

Au Musée du Quai Branly : Visions chamaniques

 

Une magnifique exposition se tient actuellement au Musée du Quai Branly à Paris (jusqu'au 26 Mai 2024) sur le thème "Visions chamaniques, Arts de l'ayahuasca en Amazonie péruvienne".


L'exposition explore les enjeux contemporains liés aux relations entre images hallucinatoires et productions iconographiques, à partir du cas de l'ayahuasca.


Si l'ayahuasca - littéralement "liane des morts" en quechua - fascine le monde occidental depuis seulement un demi-siècle et sa popularisation par la Beat Generation, ce breuvage hallucinogène occupe une place centrale dans la vie sociale de nombreuses sociétés autochtones d'Amazonie occidentale. Voir ici .

L'ayahuasca permet de "rêver avec les yeux ouverts"

Traditionnellement ingérée dans un cadre chamanique, principalement à des fins thérapeutiques ou de divination, cette substance "psychédélique" est également intimement liée à la création artistique.

Par exemple : les artistes shipibo-konibo Celia Vasquez Yui, Chonon Bensho et Sara Flores renouvellent, à la faveur d'une impressionnante virtuosité technique, les pratiques traditionnelles de céramique, de tissage et de peinture des kené (motifs géométriques), qui s'expriment sur de nouveaux supports tels que la broderie sur toile ou les tableaux de coton.

Teintures sur toile de kenés opérées à main levée



Céramiques ornées de kenés
tracés à main levée


Celia Vasquez Yui est une artiste militante des droits autochtones et représentante politique shipibo-konibo.

Ses sculptures zoomorphes reflètent une compréhension spirituelle et animiste de l'écologie.

Fourmilier

Pécari

De curieuses et intéressantes sculptures, réalisées à partir de bois mort provenant de la forêt amazonienne,  sont également présentées dans cette très belle exposition ; elles sont réalisées par l'école Onanyati, qui regroupe une vingtaine d'artistes visionnaires péruviens.




Ces sculptures figurent les êtres qui peuplent les
expériences visionnaires des artistes 
ainsi que les mythes amazoniens

Cette exposition offre un véritable panorama des "images visionnaires" créées par les populations autochtones d'Amazonie péruvienne : passionnant.