jeudi 4 décembre 2025

"Le mauvais sort" de Beppe Fenoglio : un petit bijou dur et impitoyable

 

"Le mauvais sort" (La Malora) décrit la vie d'un adolescent paysan dans les Langhe, cette région vallonnée du Piémont que Beppe Fenoglio transforme en une sorte de monde mythique impitoyable.

Beppe Fenoglio (1922-1963)


On y suit Agostino qui grandit dans une famille pauvre, sur une terre dure où chaque geste, chaque récolte, chaque hiver est une lutte.

Ce magnifique petit livre (110 pages) raconte de façon poignante, et avec une intensité digne des plus grandes épopées,  comment Agostino, au cours d'une vie simple et héroïque, internalise la fatalité, ce "mauvais sort"que le titre évoque, et comment il essaye de devenir un homme dans un monde où son destin semble déjà écrit. 

 

Paysage des Langhe (Piémont)

C'est sous le signe de l'atavisme et de l'ancestral, de l'attachement de l'auteur à ses collines natales des Langhe que s'anime ce sobre et puissant tableau de la vie paysanne piémontaise de l'entre-deux-guerres.

Beppe Fenoglio est né à Alba, dans le Pïémont, en 1922. Voir ici.

Engagé en 1944 dans la Résistance contre la République Sociale Italienne fasciste (ici) dans les Langhe, c'est cette expérience qu'il relate dans la plupart de ses écrits, marqués par le néoréalisme (ici). 

 

C'est dans cette région, que j'ai déjà parcourue, que "le plus solitaire de nous tous" comme le désignait Italo Calvino, écrira les trois romans publiés de son vivant : Les vingt-trois jours de la ville d'Alba, Le Mauvais Sort et Le printemps du guerrier.

Il meurt prématurément à 41 ans.

Son œuvre, largement posthume, est aujourd'hui considérée comme l'une des plus importantes de la littérature italienne d'après guerre.

 


lundi 1 décembre 2025

Cinéma : Sirāt d'Oliver Laxe : le chemin étroit entre chute et rédemption

 

Le film "Sirāt" d'Oliver Laxe, que j'ai vu hier avec grand intérêt et émotion est plus qu'un road-movie mystique dans le désert marocain.

Le titre "Sirāt" fait référence au pont mythologique, dans la tradition islamique, censé relier l'enfer au paradis, un passage dangereux et incertain.

Les personnages du film (un père et son fils, des raveurs) sont à la dérive, et emportés dans une quête, ou plutôt un trip chaotique dans le désert du sud marocain, ou dans leur propre désert intérieur, en quête d'une disparition (une jeune fille et une sœur pour le père et son fils) et certainement en quête d'eux-mêmes.




Ce trip n'est pas un chemin clair vers la vérité : il est semé d'embûches terribles, tant matériellement qu'intérieurement, dans un contexte de guerre imminente.


Cette quête se déroule sur un pont précaire, le sirāt : l'équilibre est fragile, la frontière entre libération et destruction particulièrement mince. 

Le sirāt devient symbole de la précarité de notre existence, de la difficulté à trouver un sens, un refuge ou un salut quelconque.


Le film dépasse rapidement le cadre du simple drame personnel du père et de son fils mais creuse l'absence, la perte, le deuil.

La traversée du désert, les dangers, le chaos qui s'installe nous plongent dans un monde en déliquescence, nous fait côtoyer des individus à la marge mais solidaires : l'horizon s'annonce lointain et incertain.

Le voyage est aussi intérieur : une exploration de nos peurs, de nos blessures et de notre humanité. 


 

Ce qui est puissant dans ce beau film, c'est que nous sommes nous-mêmes, tout comme les personnages, confrontés à notre propre fragilité : l'absence, la mort, l'injustice, la dissolution des repères.


Le film montre aussi  que l'humanité peut renaître dans l'adversité : les ravers, le père et le fils se retrouvent ensemble, traversant le désert, traversant l'épreuve, une communauté improbable, mais solidaire.

 

Ce film puissant est en fait plus intuitif que narratif, il touche le spectateur non seulement par l'histoire, mais par les sens :  la musique, la lenteur, les splendides paysages où nous sommes immergés.


Sirāt est une invitation à ressentir, à questionner, à s'interroger sur la vie, la mort, le destin, la quête de sens et la solidarité. 

Magnifique!