En Alsace : dans la Réserve Naturelle de l'Ile de Rhinau

Poursuivant notre exploration des richesses du Grand Ried alsacien, nous nous sommes promenés dans le biotope si particulier de l'Ile de Rhinau: voir ici.

L'Ile de Rhinau en Alsace, en rouge

Détail du circuit;
L'Allemagne est sur la rive droite et
l'Alsace sur la rive gauche

L'accès se fait, non loin de Rhinau, à hauteur de Diebolsheim, par la centrale hydro-électrique, en stationnant près des écluses.

La centrale hydro-électrique de Rhinau

En 1963, pour l'inauguration de la centrale, le statuaire Raymond Couvègnes (1893-1985) réalisa une armoirie en fer forgé, "La Vierge à l'Enfant".

Ce symbole a été créé afin de protéger Rhinau, première ville épiscopale connue du Moyen-Âge, des inondations alors fréquentes.

Blason de Rhinau

L'ancienne ville, progressivement submergée par le Rhin a été abandonnée.
La ville actuelle date du XVI° siècle.

"La Vierge à l'Enfant" de Raymond Couvègnes

L'Ile de Rhinau, longue de 10 km et large de 500 m est une île encore inondée régulièrement, comprise entre le canal d'Alsace et l'ancien cours du Rhin : elle bénéficie toujours des crues nourricières du Rhin, en particulier à la fonte des neiges dans les Alpes.

Egalement, lors des fortes pluies, des débits importants transitent dans le Vieux-Rhin, remettant en eau d'anciens bras et submergeant certains chemins jusqu'à inonder presque l'Ile entière.

Certains endroits ne sont accessibles qu'en barque.

Elle est née de l'aménagement du barrage qui permet de dériver l'eau vers la centrale hydro-électrique et les écluses, ultimes aménagements destinés à rendre le Rhin navigable toute l'année.

Une randonnée dans cette Ile permet la découverte de la faune et de la flore endémiques spécifiques à ce biotope si particulier. 

On y trouve des peupliers blancs, des merisiers, des chênes pédonculés, des peupliers noirs, des aulnes blancs, des saules, une jungle de lianes de lierre grimpant et de houblon sauvage.

La Réserve Naturelle de l'Ile de Rhinau présente un milieu fragile et complexe composé de forêts alluviales et de zones humides sillonnées de bras morts du Rhin et de rivières phréatiques, les Giessen, et des zones marécageuses.

Les mares, les prairies humides, les roselières constituent autant de refuges pour les libellules, les batraciens, les serpents, les poissons et les oiseaux (pics, sittelles torchepot, fauvettes à tête noire, cygnes,...).

Libellule fauve

Couleuvre à collier blanc : elle vit non loin
des cours d'eau et des plans d'eau dans la région du Rhin.
Elle se nourrit d'amphibiens et de petits mammifères.

Cette Réserve Naturelle fait pendant à la Réserve Naturelle du Taubergiessen (Naturschutzgebiet Taubergiessen), du côté allemand, dont une partie est gérée par la ville de Rhinau, et accessible par un bac (gratuit) : voir ici et là .

Le rattachement du Taubergiessen à Rhinau est né d'une des grandes crues du Rhin en ... 1541. 
Ce milieu est très proche de celui de l'Ile de Rhinau, l'insularité en moins .

Encore un mot sur la centrale hydro-électrique et le cours du Rhin: elle a été mise en service en 1963, sa chute est de 13 m et sa largeur de 155 m pour un débit maximum de 1500 m3/s.

La salle des turbines

La production annuelle d'électricité est de 930 millions de kWh et elle fait partie des 10 centrales hydroélectriques françaises sur le Rhin.

Les centrales sur le Rhin

A noter, pour la petite histoire, et surtout pour la grande histoire géologique : le cours du Rhin n'a pas toujours été celui qu'il est actuellement.

Les mouvements tectoniques ont fortement modifié son cours au fil du temps.

Initialement drainé vers le Danube et la Mer Noire, il est dévié sur la Méditerranée il y a 15 millions d'années, puis vers le Danube, pour rejoindre la Saône il y a 2 millions d'années.

Au début de l'ère quaternaire, les Vosges, la Forêt-Noire et le Jura se soulèvent et le Rhin trouve sa voie vers la Mer du Nord...

... et la France réalise le Grand Canal d'Alsace entre 1928 et 1959 afin de rendre ce fleuve navigable.

Aménagement hydroélectrique du Rhin

Le Rhin, ce fleuve mythique, trait d'union européen, est le plus grand fleuve d'Europe occidentale (1325 km). 

Il prend sa source sur les flancs du St-Gothard, en Suisse et traverse 6 pays (Suisse, Autriche, Lichtenstein, France, Allemagne, Pays-Bas).

Le St-Gothard

Le Rhin romantique, vous pouvez l'admirer sur cette vidéo de  l'émission "Des racines et des ailes" : ici.

En Alsace : Promenade dans Benfeld, haut lieu chargé d'histoire(s)

Benfeld est une petite ville de 6000 habitants située dans le département du Bas-Rhin, en Alsace, entre Sélestat et Strasbourg, que nous avons eu grand plaisir à découvrir il y a peu.

L'Hôtel de Ville de 1531

C'est l'une des portes du "Grand Ried", zone humide à la richesse écologique exceptionnelle (Voir mes notes précédentes).

Benfeld, au centre de cette carte

Mais Benfeld est aussi un haut lieu chargé d'Histoire, et d'histoires.

Benfeld provient de l'installation de colonies romaines ultérieurement détruites par les Vandales en 407: c'était une annexe de la ville gallo-romaine d'Hellelum (auj. Ehl).

Benfeld est mentionnée dans une charte de l'évêque Eddin, du diocèse de Strasbourg, en 769, sous le nom de "Villa Benveltin".

Et en 1306, Albrecht I° de Habsbourg, Empereur du Saint-Empire (ici),  lui conféra le titre de ville et fit ériger une enceinte fortifiée.

Albrecht I°
1255-1308
dessin d'après un vitrail (1560)

Enceinte fortifiée de Benfeld

En 1331, après un long siège, la population est massacrée par les troupes du Duc de Wurtemberg, entrées, selon la légende, grâce à la trahison du fameux Stubbehansel.

Le Stubbehansel était chargé du service auprès du Conseil de la ville; il disposait donc des informations et des clefs et l'ennemi a réussi à acheter sa conscience, moyennant une grosse somme d'argent : il ouvrit les portes aux mercenaires du duc qui pillèrent et massacrèrent les habitants.

Pour rappeler cette histoire, Benfeld fit installer des automates
sur la tour de l'Hotel de Ville : le Stubbehansel
est tout en haut, serrant une bourse remplie de l'or de sa trahison
et ses lèvres bougent toutes les heures...

Ce nom est resté célèbre dans la tradition benfeldoise, puisque la fête estivale reconduite chaque année au mois d'Août est la "Fête du Stubbehansel".

La forteresse de Benfeld revient en 1537 aux Princes-Evêques de Strasbourg et en 1580 devient le chef-lieu du baillage épiscopal.

Pendant la Guerre de Trente ans, à la fin du mois d'Août 1632, les forces suédoises (encore elles !) commandées par le Maréchal Horn et le Rhingrave Othon-Louis, Comte de Salm (ici), enlevèrent Obernai et Erstein, et ayant récupéré des pièces d'artillerie à Strasbourg mirent le siège devant la forteresse épiscopale de Benfeld.

Jacques Callot
La Guerre de Trente ans en Alsace

Le Rhingrave Othon-Louis

La ville résiste 66 jours, et après sa reddition, Benfeld devient le quartier général de l'armée suédoise de 1632 à 1650, date à laquelle, suite au Traité de Westphalie, les fortifications sont détruites.

On peut d'ailleurs observer un morceau du mur d'enceinte :

Il y a encore, à Benfeld, la Rue du Petit-Rempart et la Rue du Grand-Rempart.

Au cours de la bataille d'Alsace, Benfeld a été libérée le 1° décembre 1944 par les spahis de la 2° division blindée, mais le 7 janvier 1945, à la suite de l'Opération Norwind, les Allemands reprennent l'offensive, la population de Benfeld est évacuée et la ville subit jusqu'au 20 janvier 1945 le violent feu de l'artillerie allemande.

La ville est décorée de la Croix de Guerre 1939-1945.

Le Blason de Benfeld

Un aperçu du patrimoine exceptionnel de Benfeld :

Maison noble 1566

Sculpture 1518

Maison Noble dite "Le Châtelet" 1620

Maison Noble 1562

Grenier Municipal XV° siècle

Oriel

Le presbytère catholique 1754

Le relai de Poste 1742

L'église catholique
Saint-Laurent 1352, 1840, 1857

L'église protestante 1866

L'ancienne manufacture de tabacs 1854

Une mention particulière à propos de la Synagogue :

Son extérieur modeste abrite un trésor architectural riche en histoire puisqu'elle est la seule synagogue d'Alsace ayant survécu aux profanations opérées par les nazis, grâce à la présence d'esprit du secrétaire de Mairie Eugène Guthapfel qui a prétexté avoir besoin de cette salle pour des réunions, après que des religieuses aient mis en lieu sûr tous les objets et décorations pouvant trahir le caractère religieux de l'édifice.

Une plaque gravée témoigne de cette action.

L'Orgue Metzgel de 1895

Au Moyen-Âge, la ville comporte une communauté juive florissante comparable à celle de Strasbourg. Voir ici.

L'histoire du judaïsme en Alsace est parcourue d'épisodes dramatiques sur fond d'antisémitisme : en janvier 1349, l'accès aux villes de la région est interdit aux juifs, car ils sont tenus pour responsables de l'épidémie de peste noire.

Et immédiatement après cet édit, en février 1349, lors du massacre dit de la St Valentin, des juifs sont brûlés et noyés, à Benfeld comme à Strasbourg.

Massacre des juifs de février 1349

La Révolution française, suite à une loi d' l'Abbé Grégoire changea la situation des juifs en leur accordant les mêmes droits que les autres citoyens et la Communauté juive de Benfeld se recréa au cours de la première moitié du XIX° siècle.

Cette synagogue, inscrite aux Monuments Historiques, nécessite d'importantes restaurations estimées à 1,2 millions d'euros, financés en partie par le loto du Patrimoine.

Il s'agira alors de faire revivre ce lieu par la culture et un projet muséal.

Nous avons terminé notre passionnant circuit par une pause bucolique au Ladhof (Place des chargeurs) au bord de l'Ill, datant du Moyen-Âge.

Ce Ladhof a joué pendant plusieurs siècles un rôle économique majeur : c'était un petit port sur lequel les bateliers faisaient transiter les marchandises, les vivres et les personnes sur l'Ill, en direction d'Erstein au nord et de Sélestat au sud.

Grandeur, décadence et renaissance de la splendide Abbatiale d'Ebersmunster

Ne pouvant poursuivre notre exploration du Grand Ried alsacien, la météo étant peu clémente, nous avons voulu revoir la splendide Abbatiale d'Ebersmunster, non loin de Sélestat, en Alsace: c'est la plus belle de tout l'est de la France!

Ebersmunster, un petit village, à priori sans grand intérêt, renferme une pépite architecturale : son Abbatiale baroque Saint Maurice : voir ici.

Un petit détour sur la route entre Colmar et Strasbourg à faire absolument.

Porche de l'Abbaye
Ebersmunster signifie "habitat du sanglier"

L'Abbaye d'Ebersmunster fut une Abbaye bénédictine jusqu'à la Révolution française.

Elle fut fondée dans la moitié du VII° siècle sur les restes d'un camp fortifié romain.
Elle fut richement dotée par le Duc d'Alsace Adalric, propriétaire des terres, père de Sainte-Odile, patronne de l'Alsace. Il est aussi connu sous le nom d'Etichon : ici.

Adalric I° d'Alsace
635-690

Adalric est peut-être aussi l'ancêtre des Habsbourg, des Eguisheim-Dabo, de la Maison de Bade, de la Maison de Lorraine, et des comtes de Flandre.

L'inauguration de la première église fut faite par l'évêque de Nevers, Saint Déodat (nommé également Saint Dié) en 667 en présence de nombreux habitants d'Alsace et de Lorraine.

Les biens qu'Adalric accorda à l'Abbaye furent absolument considérables, d'Eguisheim à Sigolsheim et Orschwiller, de Metzeral à Muhlbach, 80 villages  et de nombreuses propriétés de Rixheim à Illkirch-Graffenstaden.

Les possessions de l'Abbaye s'étendent alors le long du vignoble, de Mulhouse au sud de Strasbourg.

Splendeur baroque

Le Maitre Autel de 1728
surmonté d'une immense couronne

En 818, l'Abbaye, haut lieu du christianisme,  est élevée au rang d'Abbaye de l'Empire.

XVIII° siècle

A la fin du IX° siècle, le Roi Arnoul l'assujettit à l'évêque de Strasbourg.

L'étonnante chaire, "portée" par Samson

Dans le choeur, de très belles stalles sculptées
par un frère convers au XVII° siècle

En 1331, le village d'Ebersmunster passe au rang de ville par un décret de l'évêque de Strasbourg, Berthold de Bucheck, membre de l'Ordre Teutonique : ici.

L'Abbatiale romane est construite en 1112 et remaniée durant la période gothique.

En 1525, durant la Guerre des Paysans, les difficultés sérieuses commencent pour l'Abbaye et l'Abbatiale, qui sont pillées et saccagées.

Les peintures du plafond racontent les vies
de St Maurice et de St Benoit

En 1549,  les habitants d'Hunawihr, qui avaient embrassé la religion de Luther viennent profaner les lieux

L'Eglise est incendiée en 1632 par les troupes suédoises durant la Guerre de Trente Ans.

Les fonds baptismaux

Elle est reconstruite en 1712 par l'architecte autrichien Peter Thumb en style baroque allemand (Peter Thumb a réalisé de nombreuses églises dans la région, en Alsace et au Pays de Bade, dont la magnifique église Sankt Peter).

L'Architecte Peter Thumb
1681-1766

Brûlée par la foudre en 1717 elle est à nouveau reconstruite (1720-1726) en style baroque.

L'église est épargnée durant la période révolutionnaire mais la communauté monastique (26 religieux) est dissoute en 1791.
Les bâtiments conventuels sont détruits et les biens vendus aux enchères.

Le 24 septembre 1792, la bibliothèque de l'Abbaye qui renfermait plus de 9000 ouvrages est embarquée sur cinq péniches en direction de Strasbourg et la plupart des ouvrages sont brûlés sur la place publique.

L'orgue est l'un des derniers fabriqués
par le fameux André Silbermann ver 1731

L'Abbatiale revit en particulier par les animations culturelles et les nombreux concerts dans le cadre des "Heures Musicales d'Ebersmunster", qui ont un grand rayonnement en Alsace et en Allemagne, mais tout a été malheureusement chamboulé par la pandémie : ici.

Lorsque les concerts pourront reprendre, ce sera une occasion rêvée d'y venir écouter le magnifique orgue Silbermann tout en admirant la splendeur baroque de l'Abbatiale : voir ici.

Et, en point d'orgue, écoutez ici le grand jeu de la suite du 3° et 4° ton de Michel Corette, extrait des Pièces pour l'orgue dans un genre nouveau, à l'usage des Dames religieuses et à ceux qui touchent l'orgue, avec le mélange des jeux et la manière d'imiter le tonnerre (1787).