vendredi 30 avril 2010

Le jazzman Ahmad Jamal, "Le monstre aux deux mains droites".

Autres surnoms que lui donnent affectueusement les acteurs du monde du jazz actuels : "l'architecte", "le prophète", "le prestidigitateur du piano", "Ahmad le magnifique".

Car il s'agit d' Ahmad Jamal (né Frederik Russel Jones) , un compositeur et pianiste de jazz noir américain (né à Pittsbugh) qui a approché son premier piano il y a...77 ans!

Une fois installé au piano, ce jeune homme de 80 ans habillé de blanc s'envole et nous entraine, pour notre émerveillement et notre plus grand bonheur, à la découverte de nouveaux sons, avec une liberté et une maîtrise tout à fait époustouflantes.

Un artiste qui prend des risques, qui évolue sans cesse et "qui apprend tous les jours quelque chose de nouveau au piano"....Il a chaque jour une dizaine de compositions qui lui trottent par la tête.
Ce n'est pas n'importe qui dans le monde du jazz!
Pensez donc : il partagea l'affiche avec Duke Ellington et Billie Holiday dans les années 50.

Il a connu Armstrong, Ella Fitzgerald, Benny Goodman, Nat King Cole,...Wouah!
Il a fait rêver Miles Davis...

Ahmad Jamal est un féru de musique classique : à 11 ans, il joue Liszt et devient professionnel. Fervent admirateur de Maurice Ravel, de Wladimir Horowitz...

Pour gagner sa vie, il joue dans des night-clubs de Pittsburg, en particulier en accompagnant Dinah Washington.

L'album qui lui ouvre les portes du succès, At the Pershing, en 1958 (avec les tubes But not for me et Poinciana) restera 107 semaines durant au Top 100 des ventes aux USA...

La Filature, à Mulhouse, nous a fait un beau cadeau en nous offrant ce concert d' Ahmad Jamal le mardi 27 Avril!

Intitulé "It's magic", du nom de son 10° album, ce concert nous a permis d'accéder avec bonheur à la magie qui l'habite depuis plus d'un demi-siècle.

Il était accompagné par le batteur Idris Muhammad, délicat et...percutant, par le bassiste James Cammack, un compagnon de longue date, et par le percussionniste Manolo Badrena du groupe mythique Weather Report.

Malgré le véritable tourbillon qu'est sa vie, il a toujours déclaré rechercher la paix : "La quête, c'est celle de la paix, musicale et intérieure. Je ne peux pas dire, reconnaître que je suis en paix, ce serait dangereux de l'exhiber. Un homme en paix avec lui-même ne le dit pas". C'est ce qui ressort, du fond de ses compositions et interprétations.
Quatre rappels et une standing ovation pour finir, lors de cette soirée vraiment...magique!
Ecoutez donc Poinciana ici !



dimanche 25 avril 2010

Une boisson magique : le Karkadeh, ou Bissap

Lors de mon périple au Mali en Janvier, nous nous sommes brusquement arrétés, sur instruction exprès de notre guide dogon, sur la route de Ségou à Sévaré. Il y avait là, apparemment une urgence!

La raison : des bassines posées à même le sol, au bord de la route, remplies de fleurs séchées d'un beau violet sombre (voir photo ci-contre), qui étaient à vendre, pour un prix dérisoire. Nous en avons pris plusieurs sacs. Je ne connaissais pas.

Il s'agissait de fleurs d' Hibiscus sabdarifa, plus communément appelées Carcadet, ou Karkadeh, (en Egypte, de l'arabe karkandji) ou Bissap, (en Afrique de l'Ouest), d'après le nom de la boisson qui en est tirée. On l'appelle encore Oseille de Guinée, ou Thé rose d'Abyssinie.

Ce n'est d'ailleurs pas la même variété que les Hibiscus de nos jardins européens.

On trouve le Karkadeh ou Bissap en Egypte, au Soudan, au Sénégal (où c'est la boisson nationale), au Sud du Mali, au Burkina Faso. Cette plante très résistante à la chaleur pousse en plein soleil jusqu'à la limite du désert.

La boisson rouge (on dirait du jus de raisin) obtenue après infusion de ces fleurs d'Hibiscus séchées est douce, agréable, fruitée.
Elle peut être bue chaude en tisane ou mieux froide, elle est alors très rafraichissante, et sa saveur acidulée est très agréable.

Ses propriétés sont en outre étonnantes, magiques : riche en vitamine C, excellent diurétique, amincissante, antispasmodique intestinal, tonique, stimule l'appétit, améliore la vision nocturne, facilite la digestion, anti-inflammatoire léger, antioxydant, combat la fatigue, l'hypertension, aide pour les maladies ORL et respiratoires, et même, stimule le désir, l'amour et la divination. Que demander de plus?


On trouve dans cette plante des anthocyanosides, responsables de la couleur rouge, des flavonoïdes, des mucilages, des pectines, une huile essentielle (eugénol).

Sa totale absence d'effets indésirables permet d'en boire tout au long de la journée...et de diminuer sa consommation éventuelle de café.

Les fleurs séchées sont portées à ébullition 5mn (40 à 50g de fleurs séchées pour 2 litres d'eau). Laisser reposer une bonne heure et ensuite filtrer. On peut rajouter du sucre, ou du sirop de sucre de canne, ou, pouquoi pas, du sirop d'agave bio. Ce sirop peut être utilisé pour parfumer boissons et desserts, les salades de fruits par exemple.


On doit pouvoir en trouver chez les herboristes. Quant à moi, je me fournis dans une épicerie du quartier indien de Paris, vers la Gare du Nord.

lundi 19 avril 2010

L'art tribal en Inde et les Adivasi au Musée du Quai Branly, à Paris

Magnifique exposition que celle que nous offre en ce moment le Musée du Quai Branly à Paris, sur l'art tribal en Inde, intitulée "Autres Maîtres de l'Inde", l'art des populations Adivasi ( "les premiers habitants" en sanskrit).

Une découverte d'autant plus essentielle pour moi qu'elle renouvelle ma vision (forcément partielle) de la production artistique du sous continent indien, où je ne me suis rendu "que" sept fois, si je compte aussi mes voyages au Népal.

Des populations y vivent encore à l'écart des castes et des communautés hindoues les plus importantes.
Ce sont des peuples isolés dans des zones montagneuses ou forestières, détenteurs de traditions séculaires et de pratiques culturelles subtiles.

Cette multiplicité de mondes, dans un pays aussi vaste que l'Inde, tend à évoluer vers une reconnaissance internationale, sans pour autant perdre de sa spécificité et de sa richesse.

Témoin l'oeuvre de Jangarh Singh Shyam (1962-2001), qui m'a particulièrement touché et ému.

Originaire de la tribu Gond du Madhya Pradesh, Jangarh Singh Shyam fut reconnu par un célèbre peintre indien, J. Swaminathan, en 1982, alors qu'il n'avait que 16 ans ; il travailla dés lors à Bhopal.

On ignore encore ce qui le poussa à se lancer dans cette aventure de création, mais il déclara un jour : "La première fois que j'ai trempé mon pinceau dans les gouaches aux couleurs vives, à Bhopal, mon corps fut parcouru de tremblements."

Il fut très vite attiré par le Japon, où il se suicida à 37 ans pour des raisons inexpliquées.

Il explora différentes techniques : aquarelle, gouache, acrylique, gravure,...

Tout en évitant soigneusement d'imiter les 'modernes', il resta attentif à ce qui se passait autour de lui ; dans son oeuvre, les oiseaux se métamorphosent en avions et les avions en oiseaux....

lundi 5 avril 2010

La route, les charretiers, la vie à Tende, autrefois...

Une autre histoire, sur la "Route du Sel", mais non plus une histoire de chemin de fer (voir note précédente).
C'est à pied, avec leurs mulets et leurs charrettes que les marchands de fruits et légumes, les charretiers, suivaient la "Route du Sel", chaque semaine, entre Tende (Haute Roya, en France) et Cuneo (Coni, au Piémont italien) et entre Tende et Vintimille (Ligurie).

"J'avais quatorze ans en 1924.
Je partais le lundi matin de Tende.
J'allais faire le marché à Cuneo avec une charrette. Le mardi matin on faisait le marché et on retournait à Tende.
Le mercredi matin, on repartait pour faire Vintimille.

Tende-Cuneo, on mettait 10h.
Cuneo-Tende, 11h.
Tende-Vintimille, 9h.
A Vintimille, on partait à 2h du matin pour faire la douane à 8h.
On mettait 4h.
Toute la semaine, on dormait dans les écuries, avec mon pauvre père.

Quand on partait de Tende, la première étape, c'était Limone.
Les mulets le savaient.
Le mulet se mettait à droite et rentrait, pas dans la bistrot, en face du bistrot, lui s'arrêtait toujours.

La seconde étape, c'était Robilante.
On buvait quelque chose.
Puis on arrivait à Cuneo.
Et les mulets s'arrétaient toujours là où on avait l'habitude de s'arrêter.
Il n'y avait rien à faire.
Là, on se trouvait avec des équipes.
Tout le monde avait des mulets, tout le monde avait des charrettes.

Alors, quand on arrivait le premier, par exemple, si le mulet était mouillé, on prenait de la paille, on essuyait le mulet.
Pas nous.
Les mulets avant, hein!
Les mulets, c'était la vie!

On mangeait toujours en route.
Un morceau de pain et du fromage.
Autrement, il y avait des petits restaurants pour les charretiers qui passaient.
On mangeait une assiette de soupe, et un morceau de pain et de fromage.
C'était le menu fatal.
Il n'y avait pas d'histoire.
C'était comme ça.
Rien d'autre.
Et toujours on dormait dans les écuries.
A Vintimille, il y avait une femme qui s'appelait la veuve Balera, via Tenda. On descendait un peu en bas avec les charrettes.
Il y avait là, des fois, dix, quinze, vingt charrettes.
Alors les charretiers et les commerçants qui voyageaient avec les mulets avaient l'habitude de boire.
Et des fois, ils arrivaient à miluit, 1h du matin, y compris mon pauvre père, ils étaient bien soûls.
Alors moi, je me levais, je mettais sur la paille mon père et les autres.
Et je commençais à donner à manger aux mulets.
Pour repartir à 2h du matin.

Elle était dure, cette vie, mais très valable.
On s'aimait bien!
Il y avait un dialogue avec tout le monde.
Entre Cuneo et Nice, on connaissait tous les petits bistrots, les petits restaurants, les commerçants et les charretiers.
Quand on se rencontrait, on se saluait.

Maintenant, la vie a trop changé...."

Propos de M. Albert Giubergia, de Tende, recueillis en septembre 1979 par José Cucurullo.
"Parole d'un pays", Editions Serre, Nice, 1983)

vendredi 2 avril 2010

La ligne Nice-Cuneo : un tracé spectaculaire et une histoire mouvementée.

L'histoire de la ligne de chemin de fer Nice-Cuneo (Coni) et Vintimille-Cuneo et les premiers projets de construction remontent aux années 1850 alors que le Comté de Nice appartenait encore au Royaume de Piémont-Sardaigne.

En échange de la future couronne d'Italie la Maison de Savoie céda Nice et la Savoie à la France, en 1860. Le Royaume d'Italie fut proclamé en 1861.
 
En 1883, la construction de la ligne de chemin de fer commence à partir de Cuneo. Cette ligne a pour but de relier le Piémont et Cuneo à Nice et Vintimille, en suivant l'ancienne "Route du Sel".
A partir de cette date, l'histoire de cette ligne de chemin de fer est témoin des relations entre la France et l'Italie, histoire entrecoupée par les deux guerres mondiales.
Côté français, les travaux commencèrent plus tard mais la jonction eut lieu en 1922.

Le traité de paix avec l'Italie et le plébiscite du 12 octobre 1947 rattachent les communes de la Haute Roya (Tende, La Brigue et Saorge) à la France.

 Les infrastructures de cette ligne, passablement audacieuses, subirent d'importants dégats et après la guerre, l'Italie dut participer aux travaux en territoire français, suite aux réparations dus aux dommages de guerre.
En octobre 1979, les travaux sont terminés et les trains circulent à nouveau.

J'ai pu voir certains viaducs de cette ligne encore démolis vers 1978 avant leur remise en état : de certains viaducs ne demeurait encore en état que le pilier central... Ils ont d'ailleurs servis à tourner des films...

L'intérêt économique de cette ligne est plus marqué pour l'Italie, car ce pays dispose ainsi d'une liaison entre le Piémont et la Ligurie au travers du territoire français.
Pour la France, l'interêt est essentiellement touristique (Le "train des Merveilles").
Mais pouvoir gagner Tende depuis Nice grâce à un train au tracé aussi spectaculaire est un avantage exceptionnel.

Les infrastructures y défient l'imagination!
Le tracé et les ouvrages d'art sont hors du commun.
La voie n'est pas électrifiée.

La fontière franco-italienne est franchie par un tunnel de 8km de long qui passe sous le col de Tende.
Le dénivelé total est supérieur à 1000m.
Entre Bévéra et Robilante, 58% du tracé est souterrain.


Au total, pas moins de 107 tunnels.
Certains servent uniquement à gagner de l'altitude.
4 sont des tunnels courbes, en fer à cheval, et 3 sont des tunnels hélicoïdaux.

La ligne franchit des gorges étroites aux parois abruptes et les viaducs sont souvent à plus de 60m de hauteur.

Les éboulements sur la voie sont fréquents.
Un accident grave a eu lieu en janvier 2003, par un choc frontal de deux rames (La voie est à sens unique), suite à une erreur d'aiguillage.
Pour plus de précisions techniques, voir l'article :
http://fr.wikipedia.org/wiki/ligne_de_Tende
qui est lui-même en grande partie la traduction d'un article en allemand intitulé "Tendabahn".
L'existence de cette ligne magnifique ajoute un atout supplémentaire au charme indéniable que je trouve au village de Tende.