vendredi 27 novembre 2020

Opéra : Don Pasquale à Montpellier : un cabinet de curiosités, d'humour et d'espiègleries

 

Mercredi, sur Mezzo, nous avons assisté à un très curieux Don Pasquale, de Donizetti, retransmis depuis l'Opéra de Montpellier.

Gaetano Donizetti
1797-1848

Don Pasquale est une oeuvre phare de Donizetti, qui n'a jamais quitté le répertoire, un opéra comique - opera buffa -  qui se distingue par sa nature légère et fort divertissante, et dont le charme n'a pas vieilli : ici.

Il faut dire que dans cette représentation donnée à Montpellier, nous avons étés fort agréablement surpris par une mise en scène totalement déjantée, qui s'éloigne des intentions des auteurs, musicien et librettiste (Giovanni Ruffini), et s'adresse sans aucun doute à un public plus jeune.

Don Pasquale, créé au Théâtre Italien, à Paris, le 3 janvier 1843, se déroule à Rome, au début du XIX° siècle.

Donizetti voulait que Don Pasquale portât une tenue de Dandy 1840, afin de mieux accentuer le côté ridicule du personnage, mais le jeune metteur en scène autrichien de la version de Montpellier, Valentin Schwarz (ici), a fait un autre choix, et pourquoi pas!

Valentin Schwarz
Metteur en Scène

Il a en effet  choisi de nous montrer un Don Pasquale ronchon, dans une tenue sombre, paré d'une fraise typique du XVI° siècle, échevelé, et qui apparait même, lointain cousin de Don Quichotte,  paré d'une armure de chevallier au II° Acte : une interprétation magistrale du baryton Bruno Taddia en loufoque septuagénaire.

Don Pasquale, Malatesta et Norina

Le féminisme est revendiqué de façon évidente dans la juxtaposition de l'univers plus que daté de l'étonnant cabinet de curiosités du vieil homme et d'un autre univers, futuriste celui là, d'une Norina  (Julia Muzychenko) aux longs cheveux bleus et au legging vert pailleté, véritable Lady Gaga.

Le Cabinet de curiosités de Don Pasquale

Le Docteur Malatesta (Tobias Greenhalgah) est ici transformé en immoral ecclésiastique, qui profite de sa soutane pour mieux berner ses interlocuteurs.

Malatesta et Norina


Le timide Ernesto (Edoardo Milletti), logé dans une tente plantée au milieu du cabinet de curiosités, porte quant à lui un tee-shirt et un bermuda.

Ernesto et Norina


Le regard du metteur en scène est original et déjanté, mais traduit bien l'humour du livret avec espiègleries, malice, quiproquos et scènes burlesques, telle celle ou Don Pasquale se retrouve suspendu, gesticulant au milieu de ses fossiles.

A noter, curieusement, deux personnages fantasmagoriques, une sorcière (Katia Abbou) et un spectre squelettique (Vincent Bexiga), par qui le "chant-signe" , Langue des Signes Française, entre à l'opéra : les deux "signeurs" interprètent autant que les chanteurs, alimentant la poésie de la musique.


Sous la baguette précise du jeune chef milanais Michele Spotti, l'Orchestre National Montpellier Occitanie fait preuve d'un jouissif brin de folie.

Michele Spotti

Mais à bien y réfléchir, ce dernier opéra de Donizetti n'est pas, au fond, qu'une oeuvre drôle et légère: les personnages sont ceux de l'opera buffa, mais les rôles sont inversés.

L'homme sage perd la tête, entre obstination sénile et démon de midi (et demi); l'ingénue ne l'est plus et son caractère roué est évident ; le jeune premier n'est pas conquérant, mais larmoyant.

Seul l'intriguant, déguisé en ecclésiastique reste dans son rôle, initialement médecin chez Donizetti, comme Figaro était barbier.

Une soirée déjantée et agréable, portée par l'admirable partition de Donizetti.

Voir le teaser ici.

Il y a 10 ans, j'avais été enchanté par le Don Pasquale du Met, avec Anna Netrebko : ici.

En 2018, nous étions allés rendre un hommage à Donizetti, dans sa magnifique ville de Bergame : ici.


mercredi 25 novembre 2020

Opéra : un Don Carlos impressionnant à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège

 

L'Opéra Royal de Wallonie à Liège a présenté, en retransmission sur Mezzo, samedi dernier, un monument de l'art lyrique, que j'affectionne particulièrement : un Don Carlos de Verdi impressionnant.


Il s'agissait de la version française de 1866 en cinq actes : un spectacle grandiose à tous points de vue!

Une immense fresque de  plus de 4 heures, d'après le drame de Schiller, qui reste aujourd'hui l'une des oeuvres les plus importantes de la production de Verdi : on ne voit pas le temps passer!


Verdi plante, dans un drame historique et politique, des portraits psychologiques d'une rare intensité dramatique.

Dans cette oeuvre, se déploient de façon magistrale amour, passion, jalousie, trahison, religion, inquisition, mort, et rédemption.


On peut y entendre des voix de basses exceptionnelles comme dans le duo sublime de l'Acte IV entre Philippe II et le Grand Inquisiteur.


Tout, dans cette mise en scène, demeure scrupuleusement fidèle à un XVI° siècle historié, et dramatiquement déformé par le prisme de Schiller.







Le chef d'orchestre Paolo Arrivabeni, qui a été directeur musical de l'Opéra Royal de Liège durant une dizaine d'années (ici), a su galvaniser l'orchestre et l'amener à une réussite exemplaire dans cette géniale et "marathonienne" oeuvre de Verdi.


La distribution de très haut niveau n'appelle que des éloges!

Le ténor américain Gregory Kunde campe un Don Carlos de grande classe, tout en nuances: ici.

Gregory Kunde

Le baryton belge Lionel Lhote nous offre un exemplaire Marquis de Posa, témoignant d'une magnifique fibre verdienne : ici.

Lionel Lhote

Le baryton-basse italien Ildebrando D'Arcangelo assume, au travers de sa magnifique tessiture, toutes les ambiguïtés d'un Philippe II otage de ses sentiments et perturbé dans ses ambitions politiques : ici.

Ildebrando D'Arcangelo

La basse italienne Roberto Scandiuzzi, avec son timbre menaçant et sombre, campe un Grand Inquisiteur terrorisant Philippe II à qui il impose toute la puissance de son effrayant pouvoir : ici.

Roberto Scandiuzzi

La soprano Yolanda Auyanet interprète magnifiquement Elisabeth de Valois.

Yolanda Auyanet


La mezzo-soprano américaine Kate Aldricht, interprétant la Princesse Eboli,  a su conserver un côté primesautier dans l'"air du voile", malgré le drame qui se prépare, mais dès la scène du jardin, elle campe de façon touchante une femme soudainement blessée, jalouse et machiavélique.

Kate Aldricht

Son interprétation devient magistrale et émouvante dans les échanges agressifs du IV° Acte : une très belle présence musicale et théâtrale: ici.

En résumé : un spectacle grandiose et magnifique à tous points de vue!

Voir ici ma note sur Don Carlos au Met en 2010.

Voir ici ma note sur Don Carlo à Covent Garden en 2013.

vendredi 20 novembre 2020

Un documentaire terrible : le 13° ( Amendement)

 Le 13° (The 13th) est un documentaire passionnant et terrible, diffusé sur Netflix, sur le système judiciaire et carcéral aux Etats-Unis.


Ce documentaire réalisé en 2016 par Ava DuVernay retrace l'histoire du XIII° Amendement de la Constitution américaine de 1865 à nos jours : le constat est terrifiant!

Ava DuVernay

Ava DuVernay avait réalisé en 2014 le film Selma, inspiré par les évènements ayant eu lieu dans la ville de Selma en Alabama en 1965, concernant le Mouvement des Droits Civiques Américains : voir le trailer ici.

Le film explore de façon émouvante et terrifiante les liens entre la race, la justice et l'incarcération de masse aux Etats-Unis.

Ce 13° Amendement abolit l'esclavage, ... "à moins que les noirs ne soient emprisonnés à cause d'un crime ou d'un délit".


Les Etats-Unis représentent 5% de la population mondiale, mais 25% des personnes incarcérées dans le monde ...


Dans l'enfer des prisons américaines


Il y a 40% de noirs derrière les barreaux, alors qu'ils représentent 13% de la population des Etats-Unis

Un détenu afro-américain est accompagné à Rickers Island

La réalisatrice démontre que l'esclavage s'est en fait perpétué depuis son abolition à travers des actions telles que la criminalisation de certains comportements.

Après l'abolition de l'esclavage, des affranchis étaient par exemple arrêtés pour vagabondage et forcés à travailler pour l'Etat ou loués à des propriétaires terriens.


Au XXI° siècle, on assiste à l'incarcération de masse des gens de couleur non seulement suite à la guerre menée contre la drogue par les républicains, mais suite aux moindres délits, réels mais aussi inventés : l'injustice est profonde et choquante et le côté systémique du racisme américain est mis en évidence.

Dans la prison d'Etat d'Angola, en Louisiane :
si loin que ça de l'esclavage ?

Au Texas, en 2019, un noir à pied mené, attaché,
par des policiers à cheval : l'image qui choque!

Ce film fait le lien entre l'histoire de l'esclavage, de son abolition, et de la relation terrible existant actuellement entre la communauté afro-américaine, le système policier et judiciaire et les lobbies industriels qui ont tout intérêt à ce que le système pénitencier devienne rentable.


De plus en plus de prisons US sont maintenant construites et gérées par des sociétés privées, qui facturent très cher leurs services aux états américains, et ont intérêt à ce que les prisons soient pleines.

Et il y a des contrats à la clef avec des entreprises qui y voient une solution très opportune pour éviter de délocaliser en Chine et de profiter d'une main d'oeuvre sous-payée : IBM, Boeing, Motorola, Microsoft, ATT, Wireless, Texas, Dell, etc, etc,..

La population carcérale est corvéable à merci et les détenus qui refusent de travailler ainsi partent en cellule d'isolement. 

L'injustice au coeur de la Justice

Les erreurs du passé sont les mêmes aujourd'hui : l'Amérique est toujours en proie à ses vieux démons.

Tout afro-américain est en danger permanent d'être incarcéré, et c'est l'entrée en enfer;


Des mesures répressives et des lois coercitives construisent un cadre effrayant, où "le plaider coupable" devient un système de défense, même en cas d'innocence du prévenu.

Le documentaire lève le voile sur les pratiques destructrices d'un organisme tel que l'ALEC (American Legislative Exchange Council)  qui cultive le cynisme de façon incroyable, faisant la part belle aux lobbies et aux intérêts privés.


Des projets de loi nocifs sont proposés par cet organisme aux législateurs qui les font adopter avec pour résultat la privatisation d'un système pénitencier engagé dans la rentabilité à tout prix.

Un documentaire militant et courageux, autant choquant que nécessaire.

Angela Davis témoigne

Voir ici une interview de la réalisatrice avec Oprah Winfrey.

Ava DuVernay et Oprah Winfrey

Vous pouvez visionner ce documentaire dans son intégralité ici.

dimanche 15 novembre 2020

Opéra : un Rigoletto somptueux au Gran Teatre del Liceu, à Barcelone

 

C'était vendredi dernier : la retransmission sur Mezzo Live d'un Rigoletto  de Verdi somptueux donné au Gran Teatre del Liceu à Barcelone en 2017.



Le 26 Mars 2017 en effet, le Liceu fêtait le retour en ses murs de Rigoletto, l'un des opéras les plus chers au coeur du public catalan.



Le Liceu avait accueilli à cette occasion la production imaginée par la metteuse en scène néerlandaise Monique Wagemakers pour l'Opéra d'Amsterdam en 1996 : ici.

Monique Wagemakers

Tout d'abord une mise en scène et des costumes à la fois d'une très belle richesse visuelle et d'un grand dépouillement.


Les couleurs et les éclairages règnent en maîtres sur un plateau vide cerné d'une bande lumineuse, plateau qui se soulève pour dévoiler l'antre de Sparafucile, permettant de splendides jeux de plans entre les personnages.


Rigoletto invective les courtisans tous placés autour du plateau dans une scène d'une grande puissance théâtrale et émotive.


La maison de Rigoletto est symbolisée par un immense et étroit escalier qui monte à l'infini, où la porte d'entrée et sortie des personnages est astucieusement transformée en une trappe invisible dans le sol.

Les costumes aux teintes chaudes sont visiblement inspirées de la Renaissance italienne, offrant de très beaux tableaux visuels.



Carlos Alvares, baryton-basse espagnol, retrouve ici avec bonheur un rôle qu'il connait bien et qui lui convient merveilleusement : il nous offre une vérité et une puissance dramatique et musicale étonnantes.


Carlos Alvarez

Cette représentation a été une étape importante dans la carrière de Javier Camarena : son premier Duc de Mantoue. 

Javier Camarena

Et c'est une très belle réussite pour le ténor mexicain : quelle force vocale magnifique!

Dans le récitatif, il sait être brûlant et tendre à la fois.



Son interprétation de La Donna è mobile est époustouflante : ici.

Désirée Rancatore, soprano italienne, est attachante dans le rôle de Gilda

Elle peine un peu lorsque sa voix est sollicitée dans les extrêmes mais elle sonne mieux dans le dernier acte où elle développe une puissance inattendue, pour s'éteindre dans de beaux pianissimi au moment d'expirer.

Désirée Rancatore

La mezzo-soprano géorgienne Ketevan Kemoklidze fait preuve d'un extraordinaire talent vocal et scénique dans le rôle de Maddalena

Elle est demandée par les plus grands théâtres du monde : ici.

Ketevan Kemoklidze


Voir ici le magnifique quatuor Bella figlia dell'amore.

L'Orchestre et le Choeur du Liceu étaient sous la Direction de Riccardo Frizza qui, dès le prélude, impose le respect, démontre durant toute la représentation sa compréhension profonde du drame verdien et son écoute des chanteurs, bravo, bravissimo!

Riccardo Frizza vient d'être récemment nommé Directeur Musical du Festival Donizetti de Bergame.

Riccardo Frizza


Une magnifique et somptueuse représentation de cet opéra que j'affectionne particulièrement.