lundi 29 novembre 2010

Walker Evans, l'ordinaire et le quotidien

Walker Evans est un photographe américain né en 1903 à St-Louis, Missouri et mort en 1975 à New Haven, Connecticut.

J'ai pu avoir un éclairage saisissant sur son oeuvre lors de la très belle exposition "Anonymes, L'Amérique sans nom" à la nouvelle salle "Le BAL" à Paris XVIII°, expo dont j'ai déja parlé ici même il y a peu de temps.

Les approches formelles de Walker Evans continuent à avoir une influence profonde sur notre perception de l'art et de l'anonymat aux Etats Unis.

Walker Evans, vers la fin des années vingt s'affranchit de l'imitation de la peinture ancienne pour se tourner vers l'expérimentation photographique autour de l'ordinaire et du quotidien : il s'est consacré à l'observation des américains anonymes dans leur cadre de vie.

Il a tout d'abord publié des ensembles de photos dans de modestes journaux, puis dans le magazine Fortune.

Il doit aussi sa notoriété à ses reportages sur la situation désespérée des paysans du Sud des USA, au moment de la Grande Dépression, qu'il effectua sur commande de la "Resettlement Administration" du gouvernement.

Son célèbre ouvrage "American Photographs", publié à New York en 1938 est sans doute la tentative la plus sophistiquée pour exprimer les rapports entre vie moderne, anonymat et photographie.


Evans est célèbre pour la puissance de ses images isolées et par les rapports suggérés entre elles, en particulier pour ses portraits pris dans le métro de New York.

Il continua jusques vers 1965 à photographier des "anonymes" au travail, à Detroit, à Chicago.

Son travail absolument remarquable intitulé "People and Places in trouble" (Fortune 1961) établit un rapport frappant entre l'immobilité muette de la photographie et les effets destructeurs du chômage sur l'esprit et le corps.

Des citoyens "laissés pour compte" s'y expriment avec dans les yeux une intensité qui ne peut nous laisser indifférents.



On perçoit dans ces regards saisis par Evans toutes les nuances de la colère, de l'humiliation et de la peur : l'absolu désespoir personnel!

Voir Mon site Photos.

mardi 23 novembre 2010

Caterpillar de Hawa Demba Diallo

Il faut féliciter Hawa Demba Diallo pour ce texte et ce spectacle, simples en apparence, qui livrent aux spectateurs, sans concessions, les tabous de la société malienne.

Caterpillar nous parle de viols, d'exclusion, de précarité urbaine et des drames humains au quotidien.
La langue que Hawa Diallo met en oeuvre est populaire, débridée, chantante ; c'est celle de la rue, celle qui exprime la violence faite aux laissés pour comptes dans le Mali d'aujourd'hui.
Sa langue est triturée, déformée : c'est un cri, un rire sec, celui du "petit nègre" et de l'argot des gens d'"en bas".

Ce spectacle, vu lundi 22 novembre à la Comédie de l'Est, à Colmar, en Alsace, nous parle de Séba (Alimata Baldé), la "petite bonne" chassée parce qu'elle est enceinte, de la famille bamakoise aisée où elle a été placée.
Craignant la réprobation générale, si elle retourne au village, elle s'installe dans la précarité dans un dépôt d'ordures à la périphérie de Bamako.

Son destin croise celui d' Aliou (Korotoumo Sidibé), expulsé de France, conducteur d'engins, chargé de nettoyer avec son Caterpillar le terrain vague où s'est réfugiée Séba.
Ce laissé pour compte a un coeur gros comme ça.

Il y a aussi Bijou (Tiéblé Traoré), une enfant de la rue, qui vient chercher là chaleur et réconfort.

Ces trois là vont tenter de recréer une famille improbable, baignée de rude tendresse et de rêves impossibles.
Cette histoire tragique est rythmée par une musique allègre et des moments comiques salutaires.

Les trois acteurs donnent à leurs personnages une authenticité et une vérité poignantes, sans démonstration inutile.

Bref, j'ai aimé cette pièce, qui m'a touché, compte tenu aussi du fait que j'étais au Mali en Janvier et que j'y retourne début 2011!

Hawa Demba Diallo porte un regard acerbe sur la société malienne, sans pour autant tomber dans le misérabilisme.
-
Née dans la région de Kayes en 1970, elle a déjà à son actif un nombre impressionnant de publications (poésie, nouvelles, essais, romans, théatre) éditées au Mali (Ed Jamana, Traoré du Mali, Acte Sept,...)

La mise en scène de ce spectacle est de Claude Yersin.

lundi 15 novembre 2010

Don Pasquale de Donizetti au Met!

Magnifique soirée, au Kinepolis de Mulhouse, que celle de la retransmission en live depuis le Met à New York de Don Pasquale de Donizetti (1797-1848), l'un des ouvrages les plus étourdissants de l'âge romantique!


Cet "Opéra Bouffe" (opera buffa) en 3 actes fut joué pour la première fois le 3 Janvier 1843 au Théatre Italien de Paris, quelques mois avant le début de l'effondrement mental de Donizetti... Triomphe lors de la représentation, mais la critique fut réservée.


Don Pasquale est une des oeuvres phares de Donizetti, un chef d'oeuvre, qui n'a jamais quitté le répertoire.


C'est un opéra comique qui se distingue par sa nature légère et fort divertissante.

A Rome, au début du XIX° siècle, ruses et tromperies sont à l'honneur pour faire entendre raison au riche Don Pasquale, qui veut prendre femme pour deshériter son neveu.


Nous sommes dans la grande tradition des barbons bernés de la commedia dell'arte.


Don Pasquale figure ainsi Pantalone, Ernesto, le Pierrot amoureux, Malatesta le rusé Scapin, tandis que Norina est Colombine.


L'obsession quasi balsacienne de l'argent confère au personnage de Don Pasquale une profondeur et une pertinence sociale qui manquent dans les operas bouffe de Rossini (ex le Dr Bartolo dans le Barbier de Séville).

De même, le rôle de Norina est intéressant : elle nous est présentée par Donizetti comme une femme adulte et indépendante, qui entend mener sa propre vie comme elle l'entend. Le moment où on sent poindre en elle de la compassion pour le vieillard qu'elle s'acharne à berner, et même de l'affection, est particulièrement émouvant.

Nous sommes là à l'apogée du "bel canto" : c'est le "beau chant" qui prime! L'orchestre ne joue qu'un rôle d'accompagnateur efficace mais pas trop présent cependant, ce que James Levine a su opérer à la perfection!


La distribution est formidable : John del Carlo (Baryton-basse) dans le rôle de Don Pasquale, la merveilleuse, enjouée, pétulante Anna Netrebko (soprano) en Norina, Matthew Polenzani (ténor) en Ernesto et Mariusz Kwiecien (baryton) dans le rôle du Dr Malatesta.


La magnifique Anna Netrebko est une soprano coloratur autrichienne d'origine russe, qui a étudié le chant au Conservatoire de Saint Petersburg, et qui, pour gagner sa vie, travailla comme femme de ménage au Théatre Mariinski.


En 1994 elle débuta dans le rôle de Susanna, des Noces de Figaro. Depuis, sa carrière internationale est impressionnante.


Artiste aux multiples facettes, sa voix d'une grande ampleur, son timbre riche, son côté "glamour" et ses talents de comédienne lui permettent d'interpréter toutes sortes de rôles, même les plus difficiles.


Un petit aperçu de son talent dans Don Pasquale au Met, justement :


mardi 9 novembre 2010

Sur la lande du Zinnkoepflé, en Alsace

Nous sommes allés cet après midi nous promener, par un temps variable et tout à fait automnal sur la lande du Zinnkoepflé, dans le Haut-Rhin, en Alsace.

En partant de Rouffach, non loin du Château d'Isenbourg, notre randonnée nous fait monter dans les vignes (où nous pouvons admirer encore de belles grappes attendant les vendanges tardives), passer devant plusieurs petits monuments intéressants, puis devant la chapelle de l'Oelberg.

Cette chapelle fut construite en 1844 par un certain M. Ribstein ; elle intègre des éléments de différentes époques pour la porte, les fenêtres et le tympan (XVII° et XVIII° siècles).

Nous passons ensuite par le col du Strangenberg (357m) qui sépare les communes de Westhalten et de Pfaffenheim, et remontons vers le carrefour de Notre Dame du Hubel avec son tout petit oratoire accroché à un bel arbre.

Nos pas nous mènent bientôt sur la lande du Zinnkoepflé, au bout de laquelle on domine Soultzmatt et où est allumé chaque année un énorme feu de la Saint-Jean.
La randonnée se poursuit en descendant sur Westhalten, en longeant les vignobles du grand cru prestigieux du "Zinnkoepflé".

De Westhalten nous remontons vers la lande du Strangenberg et, après l'avoir traversée, nous retrouvons la chapelle de l'Oelberg.

Au total, une agréable randonnée de 3heures, avec de belles perspectives dégagées, et vues sur les sommets enneigés, le Markstein en particulier. Nous retrouvons les voitures à la nuit tombante.
-
Il faut noter que sur ces pentes escarpées orientées Sud et Sud-Est, que nous avons dévallées, et qui dominent la "Vallée Noble", les treilles du grand cru , appellé aussi anciennement Sonnenkoepflé, peuvent se développer magnifiquement dans un microclimat chaud et aride à l'abri du vent et des précipitations.

C'est le vignoble le plus élevé d'Alsace, culminant à 420m d'altitude!

On trouve essentiellement du Gewurtztraminer mais aussi du Pinot gris sur ce terroir exceptionnel.

Les grands crus du Zinnkoepflé sont naturellement appelés à devenir de très grands vins de garde.


Gsundhait! Santé!

vendredi 5 novembre 2010

Tanzträume : für Pina Bausch

J'ai vu hier soir le magnifique film (mal)titré en français : "Les rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch". En allemand : "Tanzträume : für Pina Bausch".
J'en ai été ému et bouleversé.
Allez voir ce film!

Vous assisterez à une expérience hors du commun : faire danser à des adolescents n'ayant aucune expérience de la danse un spectacle connu de la grande chorégraphe et danseuse allemande Pina Bausch, Kontakthof, créé en 1978.

Kontakthof a également été créé avec des danseurs néophytes de plus de 65 ans en 2000...

Il s'agit, pour ces adolescents de Wuppertal, au travers des répétitions auxquelles vous assisterez, de découvrir leur corps, le corps des autres, au delà des craintes, des peurs, des repliements sur soi.

Les jeunes participants partent à la découverte d'eux-mêmes et des autres, qu'ils ne connaissaient pas, dans ce lent apprentissage du travail en commun sur la chorégraphie de Kontakthof.

Et tout ceci se déroule, au travers des sensibilités chamboulées, des ambitions et de la fierté naissantes, sous les houlettes exigeantes et attentionnées de Pina Bausch et de ses deux assistantes.

Vraiment, voila une belle expérience humaine et artistique au service de ce ballet iconoclaste, Kontakthof, de la grande, très grande Pina Bausch !

Dans le cadre de sa compagnie, le Tanztheater de Wuppertal, Pina Bausch travaillait non pas à partir de formes et de pas à reproduire, mais tout au contraire par rapport à l'anatomie du corps de chacun, aux possibilités d'expression que leur corps leur donne.

Pendant tout le travail de répétition, elle interroge les danseurs sur leur vie, leur passé pour faire en sorte que leur vie s'insinue et transparaisse lors des représentations chorégraphiques.

Pina Bausch travaillait sur les codes de séduction, la solitude dans le couple, et la communication dans les rapports hommes/femmes.

Pina Bausch est décédée le 30 Juin 2009, à 68 ans, cinq jours après avoir appris qu'elle souffrait d'un cancer généralisé...

Voici la bande annonce de ce magnifique reportage :

lundi 1 novembre 2010

"Necrology" de Standish Lawder

Standish Lawder a été professeur et responsable du Département des Arts Visuels à l'Université de Californie à San Diego. C'est un passionné de cinéma, de photographie et d'enseignement.

Le film de 12 minutes de Standish Lawder, intitulé "Necrology" et présenté dans le cadre de l'exposition "Anonymes : l'Amérique sans nom, photographie et Cinéma", dans la nouvelle salle du "BAL" à Paris (Voir note précédente) constitue l'un des temps forts du cinéma expérimental américain.

Nous avons là une description magistrale de l'anonymat américain de l'après guerre.

C'est aussi un document marquant, une sorte de paradoxe visuel, et en quelque sorte un traité philosophique sur la représentation des êtres humains.

C'est un plan continu de dizaines de citoyens new yorkais, vraisemblablement des employés de bureau, qui sont face à la caméra et flottent vers le haut de l'image.

C'est un flux de voyageurs défilant sur l'un des quatre escalators qui relient le Pan Am Building à la Gare de Grand Central.

Standish Lawder a chargé sa pelliculle 16mm à l'envers et filme avec un très léger accéléré.
A la projection, l'activité banale consistant à descendre un escalator se métamorphose en une ascension méditative vers un lieu "plus élevé" non spécifié...

L'expression des personnes filmées va du vide de l'épuisement jusqu'à la curiosité ou un intérêt amusé.

"Necrology" signifie "la liste des défunts". Dans le film, les individus sont vivants, mais il nous est proposé de visionner ce film comme une archive enregistrée qui sera regardée par le public dans un avenir indéterminé.
On ne peut s'empêcher, en visionnant ce film, de penser aux attentats du 11 Septembre!

"Je considère Necrology fondamentalement comme une sorte d'étude anthropologique sur la vie et la mort dans le New York d'aujourd'hui. C'est une sorte de capsule temporelle, un objet d'examen pour les générations futures." Standish Lawder en 1973.

Dans la dernière partie du film, une parodie de générique apparaît à l'écran et attribue un titre imaginaire à chaque personnage.
On y trouve nommé un certain Standish Lawder, Film maker : un clin d'oeil à Hitchcock, qui apparaissait quelques secondes dans ses films, par exemple en train de monter dans un bus, dans La mort aux trousses.

(source David Campany & Diane Dufour, commissaires de l'exposition)
L'impact de "Necrology" en 1970 fut stupéfiant, de par sa simplicité formelle et ses résonnances émotionnelles.
On a dit à son sujet que c'était l'un des commentaires les plus puissants et les plus sombres que le cinéma ait jamais produit sur la société contemporaine.


Pour visionner le film :