vendredi 8 mars 2024

Cinéma : LIMBO de Ivan Sen, un polar australien à l'esthétique envoûtante

 

LIMBO est un thriller australien réalisé par Ivan Sen, sorti en 2023, l'un des meilleurs films que j'ai pu voir depuis longtemps.

"Captivant", "unique", "éblouissant"

Voila un polar magnifique et envoûtant tourné en Noir et Blanc dans l'outback australien.

Rappelons que l'outback est l'arrière pays, peu peuplé, généralement semi-aride, de l'Australie, situé au delà du bush, et grand comme les 2/3 de l'Europe...

Ivan Sen, né en 1972, est le fils d'une mère aborigène et d'un père européen.

Il a, entre autres, réalisé le film Mystery Road (ici) qui a donné lieu à une série télévisée (ici), que j'ai particulièrement appréciée.

Ivan Sen

Simon Baker, l'acteur principal, y joue le rôle de Travis Hurley, un détective qui arrive dans une petite ville de l'outback australien pour enquêter sur l'homicide non élucidé d'une femme aborigène vingt ans auparavant.




L'acteur australien Simon Baker (ici) y est méconnaissable.

Simon Baker

Simon Baker dans LIMBO

Tissant des liens avec la famille de la victime, Travis dévoile une série de vérité ardues, soulignant les complexités de l'injustice subie par les Aborigènes.




Le tournage de ce film a eu lieu à Coober Pedy, en Australie méridionale, village où les habitants vivent dans des habitations troglodytes afin de se protéger de la fournaise écrasante: ici .

Coober Pedy



C'est la capitale mondiale de la production d'opales.

C'est dans ce cadre lunaire et poussiéreux que Travis Hurley débarque. Il y trouve une communauté fatiguée et peu bavarde.

Il ne se fait pas d'illusions et ne presse pas ceux qu'il interroge.

Si les personnages vivent depuis vingt ans avec cette tragédie et souffrent toujours de ces blessures jamais cautérisées, le flic trimballe aussi ses démons, ses angoisses et une addiction à l'héroïne.


Tous les protagonistes semblent être tombés dans les limbes.

Le choix du Noir et Blanc est impressionnant et chaque image est une merveille.

LIMBO est un film formidable, dans un endroit fascinant et porté par une photo magnifique.

Voir ici le trailer du film.


Journée internationale des droits des femmes : Hommage à Gisèle Halimi

 

Aujourd'hui, le 8 mars, c'est la Journée internationale des droits des femmes : voir ici et .

C'est aussi l'occasion de rendre hommage à Gisèle Halimi, avocate, militante féministe et femme politique franco-tunisienne, qui a mené une vie de combats en faveur des droits des femmes : ici .

Gisèle Halimi
1927-2020


Le nom de Gisèle Halimi est à jamais associé au Procès de Bobigny, moment clef dans l'histoire des femmes, puisqu'il ouvrit la voie à la dépénalisation de l'avortement et à la Loi Veil.

J'ai eu l'occasion , le 28 février,  d'assister à un spectacle bouleversant donné à Paris au Théâtre de La Scala : "Gisèle Halimi, une farouche liberté" (jusqu'au 17 mars 2024).




Ce magnifique spectacle est un hommage essentiel rendu à la célèbre avocate.

S'appuyant sur le livre d'entretiens menés par la journaliste Annick Cojean, "Une farouche liberté", ce spectacle raconte soixante-dix ans de combats, d'engagement au service de la justice et de la cause des femmes menés par une femme d'exception.

Publié en 2020,
année de la mort de Gisèle Halimi

Ariane Ascaride, ici  et Philippine Pierre-Brossolette interprètent magistralement lors de ce spectacle tous les visages de la célèbre avocate éprise de liberté : la femme politique rebelle, la jeune fille, la mère, la grand-mère, l'amoureuse ... la vie et les combats d'une femme exceptionnelle.

Ariane Ascaride

Philippine Pierre-Brossolette

Viscéralement déterminée à lutter contre toutes les formes d'injustice, Gisèle Halimi n'eut pas peur de défendre celles et ceux qui, en Algérie se battaient contre le colonialisme. 

Elle dénonça avec courage les agissements d'une armée qui n'hésitait pas à employer la torture pour obtenir les aveux de femmes et d'hommes engagés dans la cause indépendantiste.

Voir ici le procès de Djamila Boupacha en 1960 et sa défense assurée par Gisèle Halimi et l'implication de Simone de Beauvoir.

Depuis sa création en octobre 2022, cette production de La Scala à Paris affiche complet.

A la fin du spectacle, Ariane Ascaride a annoncé que le Sénat venait de voter pour l'inscription de l'IVG dans la Constitution, ouvrant la voie à une adoption définitive par le Congrès (le 4 mars 2024).

Voir ici un extrait de ce spectacle (A La Scala Provence).

Gisèle Halimi en 2009


jeudi 7 mars 2024

L'Objet photographique, une invention permanente

 

Voici un petit livre très intéressant pour les photographes passionnés : "L'Objet Photographique, une invention permanente", paru en 2012 chez Photo Poche (Actes Sud) avec des textes d'Anne Cartier-Bresson en collaboration avec Françoise Ploye.



"C'est ce caractère foisonnant des typologies d'images photographiques et l'immensité des possibilités techniques actuelles qui nous conduisent à nous pencher sur ce qui se présente à notre regard comme des mutations ou comme des reprises du passé sans pour autant prétendre à une impossible exhaustivité."
(Anne Cartier-Bresson)


"Les oeuvres sélectionnées dans ce petit ouvrage montrent que création photographique et innovation technique sont intimement liées : chaque photographe reflète les possibilités et les contraintes d'une époque,  mais aussi l'intention spécifique de son auteur."

Léon Riesener (1808-1878)
"Rosalie Riesener à vingt ans"
Ambrotype, vers 1863

A l'ère du tout numérique, alors que l'offre en matière de support et de matériel de prise de vue argentique s'appauvrit, il est urgent de faire le point sur les connaissances techniques qui nous permettrons de comprendre la nature exacte des oeuvres produites depuis l'invention du medium jusqu'à nos jours, et ce petit livre nous y aide!

Denis Brihat (né en 1928)
Pelure d'oignon
D'après un négatif gélatino-argentique, 1982

Anne Cartier-Bresson dirige l'Atelier de Restauration et de Conservation des Photographies de la Ville de Paris.


mercredi 6 mars 2024

Photographie : au Jeu de Paume : Tina Modotti, l'oeil de la révolution

 

Au Jeu de Paume, à Paris, se tient actuellement, et jusqu'au 12 mai 2024, une magnifique exposition consacrée à Tina Modotti : "L'oeil de la révolution". 

Ne la manquez pas si vous êtes à Paris!


Tina Modotti
Née à Udine en 1896
et morte à Mexico en 1942 

Tina Modotti est un fameux personnage : mannequin, actrice, photographe et militante révolutionnaire italienne.

A 17 ans, elle rejoint, seule, son père à San Francisco où elle travaille comme couturière, a du succès au théâtre, devient une actrice du muet, se passionne pour l'art, la photographie, la création, s'amourache au début des années 1920 du photographe Edward Weston, dont la célébrité est déjà notoire.

Tina Modotti
par Edward Weston

Elle part vivre à Mexico où elle fréquente les milieux d'avant-garde, et les milieux révolutionnaires.

Elle devient une pasionaria, et prend sa carte du Parti Communiste mexicain en 1927, année où elle réalise la photographie "Sombrero mexicain avec marteau et faucille".


Elle voyage à Berlin, à Paris, en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, en Espagne en pleine guerre civile, où elle participe aux luttes contre les franquistes, à Moscou, puis revient à Mexico où elle meurt en 1942, à 45 ans.

Mexico, 1928

La vie de Tina Modotti aura été marquée par quelques-uns des évènements historiques les plus importants de la première moitié du XX° siècle : l'émigration économique des européens vers l'Amérique, la naissance du cinéma muet sur la côte ouest des USA, les mouvements agraires post-révolutionnaires au Mexique.











Elle photographie les oeuvres des "muralistas", peintres muralistes mexicains, qui créent d'immenses fresques destinées aux espaces publics, d'inspiration socialiste, tels que Diego Rivera.

Diego Rivera
avec qui elle expose en 1926

C'est elle qui présentera Frida Kahlo à Diego Rivera.

Tina Modotti et Frida Kahlo

Elle soutient les revendications des acteurs de la culture indigène mexicaine, l'émancipation des femmes dans la sphère publique.






Tina Modotti était d'une beauté ravageuse, elle avait du talent et elle était libre. Voir ici .






Tina Modotti meurt d'une crise cardiaque dans un taxi, dans la nuit du 6 janvier 1942.

Pablo Neruda publie les vers qui figurent sur sa tombe au Panteòn de Dolores à Mexico :

"Tina Modotti, ma soeur, tu ne dors pas, non"

vendredi 23 février 2024

"Taqawan" de Eric Plamondon : les luttes des amérindiens Micmac du Québec

 

Le livre d'Eric Plamondon, Taqawan, paru en 2018, nous raconte une histoire de luttes et de pêche, d'amour, tout autant que de meurtres et de rêves brisés.



L'auteur, Eric Plamondon, est né au Québec en 1969. Il a étudié l'économie et le journalisme à l'Université Laval et la littérature à l'UQAM (Université du Québec à Montréal) : ici.

Eric Plamondon

Ce roman, basé sur des faits réels, nous fait revivre les évènements qui se sont déroulés le 11 juin 1981 au  sud de la Gaspésie, lorsque 300 policiers de la Sureté du Québec débarquent dans la communauté de Listuguj (ici), sur la rivière de Restigouche, pour s'emparer des filets des Indiens de la nation Mi'gmaq (ou Micmac) et leur interdire la pêche du saumon, ancestrale et vitale pour eux.

Les Micmacs (Est du Québec)

Les Micmacs sont un peuple autochtone de la côte nord-est d'Amérique, faisant partie des peuples algonquiens. "Micmac" signifie "Mes frères". Voir ici .

Couple Micmac

Il y a aujourd'hui 29 groupes distincts de cette ethnie au Canada.


Voir ici une information complète sur le peuple Micmac sur l'Encyclopédie Canadienne.

Nombre de ces amérindiens parlent encore la langue micmac au Québec : ici.

Dans la langue micmac, "Taquawan" est le nom donné au saumon qui revient dans sa rivière natale pour la première fois, après un long voyage en mer.


Arrivés il y a plus de dix mille ans, ces "premiers humains", comme ils se nommaient, venus de l'ouest par le Détroit de Béring, étaient déjà présents dans cette partie du monde, bien avant l'arrivée des Vikings, puis des Européens.


La répression policière de juin 1981 est disproportionnée, et une crise politique s'ensuit.

Ce livre, "Taquawan" se nourrit de légendes comme de réalités, du passé et du présent, celui d'un peuple millénaire méprisé et bafoué dans ses droits ancestraux.


"Dans l'Ouest, l'homme blanc a réussi à éliminer les Indiens en éliminant les bisons. Dans l'Est, il y avait des saumons.

On les a péchés à coup de barrages, de nasses et de filets jusqu'à l'épuisement des stocks. Les Indiens aussi sont épuisés" .

La rivière Restigouche
au sud de la Gaspésie (Québec)


"Ici, on a tous du sang indien. Et quand ce n'est pas dans les veines, c'est sur les mains."

Ce petit livre alterne des chapitres courts et variés. Il mélange de façon remarquable tous les styles : polar, histoire, légendes indiennes, pamphlet politique.

C'est au coeur de ce pan d'Histoire authentique que se retrouvent coincés les personnages (fictifs) d'Eric Plamondon.



Ce roman très rythmé est intense, humain et émouvant : une Histoire criante d'injustice.

En exergue, ce mot d'Albert Camus " Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme."

Les origines du conflit qui a mené à cette "Guerre du Saumon" datent de la Nouvelle France : voir ici cet historique.


Les violentes incursions de la police lors de ces évènements, et leurs conséquences ont été documentées par Alanis Obomsawin dans son film de 1984 : "Les évènements de Restigouche", ici

Voir ce documentaire ici.