vendredi 8 décembre 2023

Opéra : triomphe pour Don Carlo à la Scala

 

Hier soir, ARTE Concert nous a offert une transmission magistrale en live de "Don Carlo" de Verdi depuis la Scala de Milan.

Giuseppe Verdi
1813-1901

La "Prima" (la Première) à la Scala est un temps fort de la vie culturelle italienne,  qui débute traditionnellement le 7 décembre, jour de la Saint-Ambroise, patron de Milan.

La Scala

En 2021, c'était le début de la trilogie consacrée aux tourments du pouvoir, avec "Macbeth" de Verdi, puis en 2022, avec "Boris Godounov" de Moussorgski.

A la baguette, Riccardo Chailly
a dirigé cet opéra avec maestria.

Hier soir, avec ce magnifique opéra de Verdi, que je ne me lasse pas de regarder, il est encore question, et  de façon extraordinaire, de luttes pour le pouvoir et de drames de la jalousie. Voir ici et .

Créé à l'Opéra de Paris en 1867, puis adapté pour la Scala, dont il devint un incontournable, ce chef d'oeuvre sombre de Verdi, tiré du poème dramatique de de Friedrich Schiller, mêle brillamment l'intime et le politique au fil d'une partition au lyrisme émouvant.

Au premier rang des interprètes, Anna Netrebko, dans le rôle tragique d'Elisabeth de Valois, l'amoureuse sacrifiée à la raison d'Etat.

Anna Netrebko

Cette nouvelle production, mise en scène par Lluis Pasqual réunit autour d'Anna Netrebko le ténor Francesco Meli (dans le rôle titre), le baryton Luca Salsi (Rodrigue), les basses Michele Pertusi (Philippe II) et Jongmin Park (Le Grand Inquisiteur), sans oublier la mezzo-soprano Elina Garanca (La Princesse d'Eboli).

Don Carlo et Rodrigue

Elisabeth de Valois et Philippe II

Le Grand Inquisiteur et Philippe II

"Don Carlo est l'une des grandes oeuvres du répertoire lyrique mondial et en même temps une parabole sur le pouvoir autoritaire qui décrit un dictateur sans foi ni loi et sans vergogne" (Dominique Meyer, directeur de la Scala).

L'émotion est palpable dans la salle lorsque Philippe II entonne "Ella giammai m'amò" (Elle ne m'a jamais aimé) : le Roi d'Espagne dirige d'une main de fer un Empire immense, mais se montre fragile dans sa vie sentimentale.

Dans le rôle titre, Francesco Meli, considéré comme l'un des plus éminents ténors du répertoire verdien, a convaincu.

Anna Netrebko a subjugué le public avec sa voix envoûtante.

Elina Garanca a excellé dans le rôle de la Princesse d'Eboli.

Le message de Verdi est très anticlérical :" Les religions sont l'une des pires choses que les êtres humains aient inventées, et à la fin, c'est toujours le Grand Inquisiteur qui gagne."

Voir ici le trailer de cet opéra.

Voir ici l'interview de Francesco Meli.

Voir ici l'interview d'Anna Netrebko.

 


samedi 18 novembre 2023

Albert Schweitzer : Psychopathologie du Nationalisme

 

Prix Nobel de la paix, Albert Schweitzer a laissé dans le domaine politique des écrits majeurs (Déclin et restauration de la civilisation, 1923 et Paix ou guerre atomique, 1958). Voir ici.

Albert Schweitzer
1875-1965
(Maison Albert Schweitzer, Gunsbach)

Témoin de la désagrégation du tissu social et de la montée des populismes, il a su en analyser le processus avec une stupéfiante précision.


"Lorsque les principes et les valeurs éthiques générales ne sont plus assez puissants pour réguler un sentiment comme l'amour de la patrie, lorsque celui-ci n'est plus éclairé par la raison morale, il se met à croitre et à proliférer.

Dans la mesure où les autres idéaux s'effondrent, l'idéal national, seul survivant, devient l'idéal des idéaux.

Dans la mesure où nous laissons se perdre les biens de la civilisation, le nationalisme paraît incarner seul ce qui en reste et suppléer ainsi à leur manque".


Scruter la montée des populismes à travers la grille d'analyse de Schweitzer nous permet de trouver le juste recul et la claire compréhension des processus en cours.

Dans ce petit livre essentiel, l'introduction de Jean-Paul Sorg, philosophe et essayiste, montre la fécondité de cette démarche.

Bien avant tous les analystes des mécanismes de destruction à l'oeuvre dans notre société, Albert Schweitzer avait déjà tout compris!

"En lisant ce petit ouvrage, composé avec des textes que Schweitzer n'a pas eu le loisir de rassembler et de publier, on pourra s'étonner d'y trouver un tableau clinique du nationalisme, qui présente tant de correspondances avec celui que nous observons avec inquiétude dans l'actualité du jour". (Jean-Paul Sorg)


mardi 14 novembre 2023

Le peintre américain Winslow Homer et ses extraordinaires marines

 

Winslow Homer est un dessinateur, peintre, graveur et illustrateur américain réputé pour ses marines exceptionnelles.

Il est considéré comme étant l'un des principaux peintres américains du XIX° siècle et l'une des figures prééminentes du réalisme américain: ici.


Winslow Homer
1836-1910


Winslow Homer était autodidacte et a commencé sa carrière comme apprenti dans un atelier de lithographie de Boston.

Il a ensuite travaillé pour le journal Harper's Weekly au moment de la Guerre de Sécession ("Civil War") : dans les années 1860 : il reproduisait en gravure des photographies, de Matthew Brady en particulier, représentant les horreurs de la guerre.



A noter que ses gravures, considérées comme un travail d'artisan, ne portaient pas sa signature.

Il ne fut reconnu que plus tard, après la guerre, où il commença à peindre pour son propre chef et prit son autonomie de véritable artiste, utilisant l'huile et l'aquarelle.

Dans les années 1880, il s'installe dans le Maine, sur la côte Est.

C'est là qu'il commence à peindre avec vigueur et réalisme ses extraordinaires marines.






Un critique d'art écrivit à propos de ses tableaux : " C'est comme si on invitait l'Océan dans son salon."



Il réussit, vers la fin de sa vie, à transcrire magnifiquement la paix et la sérénité de scènes observées sur la côte du Maine, d'admirables enfants insouciants croqués merveilleusement à l'aquarelle ou à l'huile.










Nous avons pu admirer en mai dernier au Metropolitain Museum à New York "The Watermelon Boys" (1876). 



Cette composition est intéressante dans la mesure où elle représente un groupe fraternel d'enfants blancs et noir réunis pour manger des tranches de pastèques.

Contrairement aux représentations habituelles, le jeune noir au centre n'est pas représenté de façon caricaturale et humoristique.

Homer représente dans ce tableau ce que pourrait être à ses yeux une société américaine après la Guerre de Sécession.

Winslow Homer possédait une énergie, et une force qui l'ont fait comparer à Gustave Courbet.


Winslow Homer en 1908

Homer n'a jamais eu d'élève et n'a jamais cherché à faire école.

Il a eu une influence importante sur l'évolution de la peinture américaine.

dimanche 5 novembre 2023

Photographie : Sabine Weiss, un regard humaniste

 

Sabine Weiss, née en Suisse en 1924 et décédée le 28 décembre 2021 (97 ans), est l'une des principales représentantes de la "photographie humaniste" en France, et la photographe ayant eu la plus longue activité professionnelle : ici .

Sabine Weiss

Moins connue que ses aînés Robert Doisneau, Willy Ronis, Edouard Boubat ou Brassaï, indépendante et discrète, elle occupe cependant une place unique au sein de la photographie française.



"Je photographie pour conserver l'éphémère, fixer des hasards, garder en image ce qui va disparaître : gestes, attitudes, objets, qui témoignent de notre passage".


Pendant près de soixante ans, elle a exploré une grande variété de domaines, du reportage au portrait et de la mode à la publicité, en parallèle d'essais plus personnels qui illustrent la condition humaine et  rattachent son oeuvre au courant de la photographie humaniste (ici).




Le goût de la rencontre, le souci de la technique et une curiosité constante pour l'observation des personnes dans leur environnement, que ce soient des anonymes ou des personnalités publiques, sont les fils conducteurs de son oeuvre extraordinaire.



"Je suis dévorée par la curiosité : j'aimerais pénétrer dans chaque maison, y découvrir la vie des autres. J'entre parfois dans des lieux interdits".



Ses clichés ont fait l'objet de nombreuses expositions à travers le monde.



"Il faut apprendre à voir les détails les plus simples. Le menu détail qui explique l'essentiel, rend compte du mouvement. L'infiniment petit qui raconte le plus grand".


On trouve ses oeuvres dans des collections prestigieuses : MoMa et Metropolitan Museum of Art de New York, Centre Georges Pompidou, Art Institute de Chicago, Museum of Modern Art de Kyoto,...






Sabine Weiss a fait don de ses archives au Musée de l'Elysée à Lausanne, qui seront conservées et valorisées dans le nouveau Musée à PLATEFORME 10, le nouveau quartier des arts de Lausanne, dès l'automne 2022 : ici.



Voir ici un entretien sur le site Elles X Paris Photo.

Voir ici : "Sabine Weiss, une vie de photographe".

Voir ici le beau reportage sur Sabine Weiss :"Un regard sur le temps".


Voir aussi le petit livre que Photo Poche (Actes Sud) lui a consacré :



vendredi 20 octobre 2023

Photographie : "Capturer la beauté" : Julia Margaret Cameron au Jeu de Paume

 

En ce moment se tient une exposition exceptionnelle au Musée du Jeu de Paume, à Paris, consacrée à Julia Margaret Cameron, intitulée "Capturer la beauté" (Jusqu'au 28.01.24).

Cameron en 1870

Julia Margaret Cameron (née Pattle en 1815 à Calcutta) est une amatrice tardive et l'une des plus éminentes photographes britanniques du XIX° siècle : ici.

Abondamment critiquée de son vivant pour la liberté dont elle faisait preuve à l'égard des conventions de la photographie de son époque, elle fut admirée dans le même temps pour le caractère inspiré de ses portraits.

Julia Jackson
(sa nièce, mère de Virginia Woolf)




C'est à l'âge de 48 ans, en 1864, que Julia Margaret Cameron (1815-1879), née dans une riche famille partagée entre l'Angleterre et les Indes, découvre la pratique de la photographie.


Elle s'y consacre avec passion pendant la douzaine d'années d'une carrière brève mais intense, créant un style immédiatement reconnaissable, que l'on pourrait qualifier de préraphaélite.

"Annie, mon premier succès", 1864


Son oeuvre également reconnaissable par ses imperfections assumées, au nom d'une stylisation artistique, s'est imposée comme l'une des plus marquantes du XIX° siècle.





Pour ses portraits, elle recrute ses proches, ses employés, ses voisins, mais photographie également des célébrités de l'époque victorienne (Tennyson, Darwin, Rossetti, Herschel,...).

Darwin, 1868

Herschel

Tennyson


Elle réalise aussi des mises en scènes librement inspirées de l'imagerie chrétienne, de légendes ou de l'histoire.






Julia Margaret Cameron est pionnière du gros plan,  n'hésitant pas à recourir à une mise au point légèrement floue.

Cet effet de flou volontaire donne un rendu vaporeux mais net aux bons endroits (soft focus).


"Qu'est-ce que la mise au point? Et qui a le droit de dire que telle mise au point est la bonne ? Mon aspiration est d'ennoblir la photographie et de lui conférer la nature et les usages de l'Art en combinant le réel et l'idéal, sans rien sacrifier de la Vérité par une éventuelle dévotion à la poésie et à la beauté ..."


Au début du XX° siècle, Alfred Stieglitz (ici) publia les travaux de Cameron et contribua ainsi à les remettre d'actualité. Les portraits de la photographe victorienne sont proches des effets recherchés par les pictorialistes (ici) dont Stieglitz a été le chef de file.


Alfred Stieglitz
(1864-1946)

A propos de Julia Margaret Cameron, Virginia Woolf, sa petite nièce, évoquait "une vitalité indomptable": elle était excentrique, généreuse et autoritaire.

Elle a choisi de faire passer sa photographie avant le jugement des critiques et du public.

Son oeuvre est singulière, à nulle autre pareille.

Voir ici  et .