lundi 6 octobre 2025

Opéra : le retour de "La Bohème" intersidérale de Claus Guth à l'Opéra Bastille

 

Hier après midi, dimanche 5 octobre 2025, je m'attendais à sifflets, chahut et quolibets lors de la représentation de La Bohème de Puccini à l'Opéra Bastille dans la mise en scène sidérale de Claus Guth.

 

Que nenni : un calme olympien et des applaudissements particulièrement enthousiastes en cours et à la fin de la représentation... et des spectateurs venus seulement écouter en fermant les yeux tout au long de l'opéra...pour pouvoir s'absorber dans la beauté de la partition et des interprétations.

 

La vision sidérale de ce magnifique opéra n'était déjà plus ... sidérante, comme elle le fut lors de sa création il y a 8 ans en décembre 2017.

Claus Guth nous propose en effet un trip hors du temps et de l'espace, puis un voyage de plusieurs siècles en arrière, lorsque des fragments du passé surgissent  dans le froid et la solitude d'un vaisseau spatial en perdition, puis d'une planète inhospitalière et désolée, après un crash prévisible.

Les "bohèmes" de l'opéra  sont comme des astronautes dans un vaisseau en perdition.

Le décor est celui d'un univers froid, claustrophobique, hors du temps , avec des réminiscences hallucinatoires, des fragments du passé qui viennent déranger un présent abstrait, et le tout, in fine,  exige trop visuellement du spectateur, aux dépends de la musique.

 


 Le spectacle insiste sur la dimension métaphorique : manquer d'air, être isolé, la fragilité des relations, la perte.

L'espace devient un lieu de dérive, d'angoisse, plutôt qu'un simple décor neutre pour l'histoire de La Bohème traditionnelle. 

 


 Le propos de Claus Guth ne fonctionne à peu près qu'au premier acte, même  si l'entrée de  Mimi pieds nus et une bougie éteinte à la main dans le vaisseau spatial distrait, pour le moins, le spectateur de la musique exceptionnelle de Puccini.

Par la suite, les scènes animées se déroulant chez Momus, les garçons de café et les enfants sont, par nécessité,  réintroduites dans le vaisseau spatial...une bizarrerie de plus!


 
"Au café Momus"...dans le vaisseau spatial

Quant au dernier acte si poignant de la mort de Mimi, l'émotion est totalement éliminée par la descente d'un rideau de scène pailleté, la présence déplacée d'un "maitre de cérémonie", et une Mimi s'éloignant pieds nus dans la neige d'une planète inhospitalière...Quelle idée totalement incongrue!

La "mort" de Mimi
 

Cette mise en scène était déjà revenue à l'Opéra Bastille au printemps 2023 et c'était donc en 2025 le troisième cycle de représentations. 

Claus Guth a commencé à travailler en 1997 dans le monde de l'opéra, mettant en scène des productions innovantes et audacieuses en Autriche, en Suisse et en Allemagne. Voir ici.

Claus Guth
 

En 2011, il a mis en scène une production de Tristan et Isoles de Wagner à l'Opéra de Paris, qui a été saluée comme l'une des productions les plus révolutionnaires et les plus radicales de l'histoire de l'opéra.

Mais revenons à la musique.

Puccini nous livre, à travers la relation du poète Rodolfo et de la fragile Mimi une histoire bouleversante et quelques unes de ses plus belles pages d'opéra.

Dans le spectacle donné hier à l'Opéra Bastille, l'élément le plus unanimement salué est la direction musicale de Domingo Hindoyan : ici.

 Il a fait chanter le flux foisonnant de l'orchestre de Puccini avec des tempi convaincants et de vraies atmosphères. 

Domingo Hindoyan

 

Mimi était interprétée avec force et sensibilité par la soprano chilienne Yaritza Véliz : ici

Yaritza Véliz

 Le ténor américain Yoshua Guerrero était Rodolpho : ici.

Yoshua Guerrero

 Et Andrea Carroll, soprano d'origine américaine, guatémaltèque et autrichienne était Musetta : ici.

Andrea Carroll

 

J'ai eu l'occasion d'assister à de nombreuses représentations de La Bohème, soit en live, en particulier à l'Opéra du Rhin, à Mulhouse, deux fois à La Fenice à Venise et au Metopera à New York, soit en replay, dans des mises en scènes classique (de Franco Zeffirelli) ou plus originales.

Celle-ci, à l'Opéra Bastille m'a finalement déçu, car à force de rechercher l'originalité à tout prix,  le metteur en scène se retrouve finalement englué dans des incohérences qui finissent par éloigner de  l'esprit de l’œuvre de Puccini, rendant certains moments trop distants, moins émotionnels, et mettant le spectateur en porte à faux, le distrayant inutilement de l'écoute de cette œuvre magnifique .

Cette mise en scène audacieuse et originale nuit finalement, à mon goût, à la grandeur dramatique et à la simplicité touchante de l'histoire. 

En résumé, cette production, malgré son concept radical, prouve surtout la force dramatique intemporelle de Puccini, capable de bouleverser, même dans un décor lunaire! 

Voir le trailer ici

 Ici la très intéressante interview de Claus Guth à l'Opéra de Paris, à propos de sa mise en scène, datant du 1° décembre 2017. 

Voir mes notes précédentes à propos de diverses interprétations de La Bohème : ici, ici là.