mardi 28 mai 2013

"La pluie" selon Francis Ponge...


Ce "joli mois de mai" gâté (pourri ?) par la pluie est l'objet de nos sujets de conversation quotidiens...et de récriminations fréquentes.

Mais qu'y pouvons nous ?
Dieu merci, nous n'y pouvons rien...

...sinon apprendre à observer, contempler, nous intérioriser et nous mettre à l'école de Francis Ponge (1899-1988) , dans "Le parti-pris des choses" (1942). Voir ici.

Francis Ponge

Avec Francis Ponge, les "choses" de la vie quotidienne prennent une valeur précieuse :


"La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. 

Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. 

A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. 

Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. 

De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu'au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.

Chacune de ses formes a une allure particulière: il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d'une masse donnée de vapeur en précipitation.

La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.

Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore : il a plu."

La pluie, à Rome...
(photo du promeneur du 68)




...et vue du tram, à Lisbonne
 (photo du promeneur du 68)


1 commentaire:

JCMEMO a dit…

"C'est le mai, mois de mai, c'est le joli mois de mai" comme il est chanté si joliment dans Jeanne au bucher de Claudel/Honegger...
Pas vraiment envie de chanter sous la pluie !
Tes photos de Rome et Lisbonne sont absolument superbes !
Amicalement