mercredi 16 février 2011

Objets blessés et réparés, au Mali


A l'heure de la société de consommation, chaque objet d'usage quotidien est chez nous, occidentaux, en sursis.

Cassé, "blessé", un objet est vite mis au rebus pour être aussitôt remplacé par un autre objet d'usage équivalent.

Il en va tout différemment au Mali, et en particulier au Pays Dogon...et certainement ailleurs en Afrique.

Des objets "blessés", que ce soit des objets rituels ou d'utilisation courante, sont aussitôt réparés, pour des motifs économiques, affectifs ou sacrés.


Au Mali, lors de mes deux voyages (janvier 2010 et janvier 2011), j'ai été frappé d'étonnement devant ces objets réparés.

J'ai trouvé l'inventivité et l'ingéniosité de ces réparations tout à fait étonnantes.

Ces réparations montrent un rapport à la vie et au temps différent et un sens poétique certain.

Les objets réparés prennent un nouveau statut, aux antipodes des canons d'une certaine beauté classique ou même industrielle (chaises en plastique,...).

En tout cas, ce qui me touche, c'est qu'au Mali, on n'abandonne jamais les choses à elles-mêmes, car le destin du sujet tout entier réside parfois dans l'objet (les calebasses, par exemple).

L'objet réparé semble en effet plus familier ; animé d'une forte charge émotive, il "parle" d'avantage ; son "langage" est plus accessible que celui de l'objet parfait, témoin exemplaire figé dans une perfection et une forme d'immortalité.


Les Dogons semblent être les seuls à avoir constitué des cimetières de masques "blessés", dans les anfractuosités de la falaise de Bandiagara, là où ils déposent aussi leurs morts.

Chez les animistes Dogons, réparer les objets, utilitaires ou sacrés revient également à réparer le corps social.

Les forgerons réparent les objets et les font passer d'un état "dés-uni" vers un état "uni", équilibré.


On dit qu'une société en crise, qui perd sa cohésion, est comme une calebasse brisée.
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Les rites réparateurs deviennent alors "points de suture" au sein du groupe social.

C'est dire combien l'acte de réparer, par exemple une calebasse, par des liens en fibres de ronier ou en coton, enserrant souvent des tiges végétales, a une valeur symbolique et appréciée comme telle, au quotidien, par les populations!

Avoir été interpellé par ces objets blessés et réparés, au Mali et en particulier chez les Dogons, m'a fait me ressouvenir d'une magnifique exposition au Musée du Quai Branly, à Paris, en 2007, intitulée justement "Objets blessés, la réparation en Afrique."
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Dans les collections du Musée du Quai Branly, soit environ 70 000 objets africains, on ne trouve que quelques centaines d'objets réparés, malgré une activité de réparation très intense sur le terrain.

Il était question, lors de cette exposition, de la conservation des objets, de leur survie, de leur caractère plus ou moins éphémère, ainsi que du sens des mots "réparation" et "restauration".

On s'y interrogeait sur l'acte de "réparation" dans la vie complexe de l'objet, et le sens que cela pouvait avoir pour les trois principales religions présentes sur le continent africain : l'animisme, l'islam et le christianisme.

Un bel ouvrage, publié par le Musée du Quai Branly, rend compte magnifiquement de cette exposition et des problématiques qui y étaient fort bien développées.

Je vous le conseille vivement, si le sujet vous intéresse :

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