Suite à mon séjour au Etats Unis en 2010, et en particulier à Chicago, en juin, j'ai été amené à m'interroger, de par l'histoire fascinante de cette ville, sur les ingrédients du progrès industriel et économique qui y a pris naissance à la fin du XIX° siècle et au début du XX° siècle.
Le sujet évoqué dans une note récente (ici) était celui de l'invention du travail à la chaîne ("assembly line") à l'usine Ford de Detroit, pour la production de la "Ford T", par Henry Ford, vers 1913 dont l'objectif était : l'automobile pour tous!
Henry Ford, véritable génie industriel, s'est directement inspiré des méthodes de production de masse mises au point pour le déceçage des carcasses dans les célèbres abattoirs de Chicago.
Je mentionnais dans cette note l'étonnement de l'écrivain Paul Bourget qui visita ces abattoirs en 1894.
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Je ne peux pas ne pas mentionner également, pour la petite histoire littéraire, l'étonnement d'un autre écrivain français, Georges Duhamel, qui visita les abattoirs Swift à Chicago et les usines Ford à Detroit, 35 ans plus tard, en 1929.
Dans "Scènes de la vie future", publié en 1930 au Mercure de France (réédité aux Mille et une Nuits, Paris 2003), Duhamel décrit, avec un ton ironique et acerbe cette société américaine où l'homme s'efface derrière les excès du machinisme et du profit, au prix de son asservissement.
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"Dès aujourd'hui, l'Amérique nous donne à mesurer ce que peut devenir l'effacement de l'individu, l'abnégation, l'anéantissement de l'individu"
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"Je me méfie de la contagion des machines".
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Mais revenons à Henry Ford!
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Henry Ford, véritable génie industriel, écrivit 3 ouvrages : "My Life and Work" (1922), "Today and Tomorrow" (1926), et "Moving Forward" (1930), dans lesquels il expose son ascension fulgurante, d'apprenti à ingénieur en chef, puis magnat industriel, ainsi que ses théories industrielles révolutionnaires et aussi ses théories sociales.
Les déclarations d' Henry Ford montrent qu'il faisait partie de ces hommes d'affaires américains pour qui la recherche du profit et de nouveaux marchés était la priorité absolue, et qui n'hésitaient pas, en situation de guerre, à collaborer avec les deux camps.
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Mais son nom est aussi associé à un autre de ses livres, "The
International Jew" (traduit dès 1921 en allemand, il a été l'une des principales sources des idées de Hitler : "Der Internationale Jude") et également associé au journal qu'il avait racheté, "The Dearborn Independant" (Dearborn, dans le Michigan, était sa ville natale) où il publia des articles antisémites de 1919 à 1927.
Ses idées furent répandues auprès de 700000 lecteurs qui recevaient ce journal gratuitement...
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Un passage y est dédié par exemple à "la salutaire réaction de l'Allemagne contre le Juif"
Son langage se veut scientifique ; il y parle d'"hygiène politique", car "la principale source de la maladie du corps national allemand, c'est l'influence des juifs".
"Les juifs doivent faire l'objet d'un "nettoyage" (cleaning out) ".
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Hitler reprendra cette terminologie au mot près.
Il y accuse les juifs d'avoir déclenché la première Guerre Mondiale, de contrôler les media, etc,...
De nombreux mouvements américains s'inspirèrent de ses écrits pour attiser une haine latente. -
La connexion américaine offre un terrain privilégié, bien qu'aucunement unique pour repenser les sources proprement modernes du nazisme et les continuités inavouées de celui-ci avec certaines pratiques des sociétés occidentales (y compris démocratiques!).
"Si les juifs sont si sages qu'ils le disent, ils feraient mieux de travailler à devenir des juifs américains, plutôt que de travailler à construire une Amérique juive."
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Ses articles antisémites furent cités dans "Mein Kampf" par Adolf Hitler.
Hitler fit attribuer en 1938 à Ford, par l'intermédiaire du consul allemand aux Etats Unis, la Grande Croix de l'Ordre de l'Aigle allemand, une distinction créée en 1937 pour honorer les grandes personnalités étrangères.
Henry Ford va participer à l'effort de guerre allemand avec Opel, filiale de General Motors et produira des camions et des chars pour la Wehrmacht.
Des succursales de Ford implantées en Allemagne demanderont après la guerre réparation aux américains pour les bombardements subis...un comble!
Il détiendra par ailleurs une partie du capital de IG Farben (GIE regroupant Basf, Bayer et Agfa), le fabricant du Zyklon B.
Baldur Von Schirac, leader de la Hitlerjugend, et plus tard gauleiter de Vienne déclara, lors du Procès de Nuremberg : "Le livre antisémite décisif que j'ai lu à cette époque, et le livre qui a influencé mes camarades est celui de Henry Ford, "The International Jew".
Je l'ai lu et je suis devenu antisémite".
Joseph Goebbels et Alfred Rosenberg figurent également parmi les dirigeants ayant mentionné cet ouvrage parmi les références importantes du parti national socialiste allemand.
Dès décembre 1922, un journaliste du New York Times visitant l'Allemagne raconte que "le mur situé derrière la table de Hitler, dans son bureau privé, est décoré d'un large tableau représentant Henry Ford".
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Dans l'antichambre, une table était couverte d'exemplaires de "Der Internationale Jude ".
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1 commentaire:
J'imagine le travail de recherche qu'a du te donner la rédaction d'un article aussi documenté, aussi passionnant.
J'ai appris beaucoup de choses : stupéfait notamment par l'antisémitisme de Ford (que j'ignorais totalement).
Cordialement.
JC
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